« Je salue les nombreuses
initiatives
prises par
le président
Bouteflika, qui
vont dans le sens
des préoccupations
qui se sont manifestées
dans la population… » Sans
sourciller, Claude Guéant, en
visite express à Alger le 4 décembre
dernier, assurait son
soutien indéfectible au régime
en place. Des réformes qui,
selon le ministre de l’Intérieur
français, apporteront « un
supplément de démocratie »
au pays, comme si un « supplément
» dans la situation
actuelle était suffisant… Dans
la presse algérienne, les commentaires
furent acerbes, tant
les réformes annoncées ou votées
depuis un an ne cessent
d’être décriées par la société
civile, l’opposition, les députés,
et ce, jusque dans les rangs
de l’Alliance présidentielle en
raison du renforcement du
contrôle de l’administration
publique sur les secteurs dits
réformés. Dans les colonnes
du journal de référence, El
Watan, quelques jours plus
tard, le politologue Mohamed
Hennad, professeur à l’université
d’Alger, désespérait
de voir l’Algérie faire du surplace
et même régresser : « Il
est quand même triste de voir
les années défiler dans notre
pays sans que les choses y
changent sinon pour le pire, résumait-
il. Notre pays ne cesse
de régresser dans des domaines
vitaux, notamment en
matière de sécurité publique
et environnementale et de
transparence dans la gestion
des affaires publiques. » Sans
parler du niveau de l’éducation
et de la santé. Voilà pour le
constat partagé de l’autre côté
de la Méditerranée.
Pourtant, la population est loin
d’être assoupie. Depuis la fin
de la guerre civile, donc bien
avant le soulèvement populaire
tunisien, manifestations,
grèves et autres émeutes n’ont
cessé de se multiplier dans le
pays tout entier. « Au mois de
mars 2011, pas moins de 450
manifestations se sont égaillées
dans les rues algériennes,
principalement dans celles
de la capitale. Il n’est pas un
jour sans qu’une route ne soit
bloquée par des manifestants,
sans qu’un sit-in ne s’organise
aux abords d’un ministère ou
de la présidence, sans qu’une
marche ne se mette en route,
sans qu’une grève ne soit décrétée.
De juillet 2010 à juillet
2011, la police a effectué
pas moins de 9009 opérations
de maintien de l’ordre », recense
la politologue Séverine
Labat, chercheure au CNRS.
Les enseignants, les chômeurs
(de l’ordre de 20 %), les fonctionnaires,
les étudiants…,
quasi tous les secteurs de
la société se sont manifestés,
sans oublier les mouvements
de protestation localisés
contestant l’attribution
des logements sociaux.
Acheter la révolte
Si la protestation sociale n’a
pas connu un bond en avant
« extraordinaire » l’année dernière,
les soulèvements dans
les pays voisins ont eu pour
effet d’ouvrir un peu plus la
manne financière de l’État
(188 milliards de dollars de
réserve selon le FMI) procurée
par la vente d’hydrocarbures.
Le gouvernement algérien a
en effet décidé en mai dernier
d’augmenter de 25 % les dépenses publiques, soit
23,8 milliards d’euros supplémentaires
destinés aux augmentations
des indemnités des
fonctionnaires et à des subventions
supplémentaires pour les
denrées de base (huile, lait,
sucre) ou encore pour soutenir
l’emploi des jeunes, etc.
La crainte de l’effet « boule de
neige » des révolutions voisines
a poussé aussi le gouvernement
à proposer des réformes
structurelles : en février,
il annonce ainsi la fin de l’état
d’urgence en vigueur depuis
1992, et au printemps, une
réforme de l’audiovisuel et une
autre sur les partis politiques.
Une révolution soft, dépolitisée,
pour un peuple traumatisé
par les révolutions sanglantes
? C’est en tout cas le
message que le gouvernement
d’Alger tente de faire passer.
Et qui passe plutôt bien, en
France comme aux États-Unis,
l’autre grand partenaire économique
et militaire de l’Algérie,
peu soucieux de l’application
concrète de ces réformes.
Mainmise autoritaire
« Le vrai enjeu est ailleurs,
note Mohamed Hennad. Les
critiques exprimées importent
peu finalement, ce qui doit attirer
notre attention est moins
le contenu de ces réformes
que la démarche adoptée pour
leur élaboration et adoption.
Tout d’abord, elles sont le “fait
du prince”, octroyées au lieu
d’être le fruit d’un débat national,
d’une négociation entre
les différentes forces politiques
du pays. » Encore plus
virulent, le politologue Mohammed
Hachemaoui dénonce
la permanence « du collège
prétorien qui depuis l’indépendance,
malgré les apparences,
n’a pas bougé les règles du
jeu de la distribution de la
rente », seules véritables clés
de lecture de ce pays.
Une mainmise autoritaire du
régime qui ne cesse de corrompre
la classe politique,
quand elle ne détruit pas
par la manipulation et « la
politique des sales coups »
toute opposition indépendante,
qu’elle soit associative,
politique ou intellectuelle.
En effet, force est de constater
que l’Algérie est restée
à la porte du soulèvement
des peuples arabes. En février
2011, certains opposants
avaient cru voir venir leur heure
de gloire. La feue Coordination
nationale pour le changement
et la démocratie (CNCD) s’est
créée dans le sillage des révoltes
tunisienne et égyptienne
à l’initiative, entre autres, de
Saïd Sadi – leader du Rassemblement
pour la culture et
la démocratie (RCD) depuis
1989, mais crédité d’une très
faible popularité. À l’instar de
presque tous les partis politiques
et syndicats constitués,
en lesquels la population –
les jeunes en particulier – n’a
aucune confiance. À Alger, la
marche de février 2011, cette
fois-ci politique, s’est ainsi soldée
par un échec cuisant pour
ceux qui espéraient rejoindre le
« Printemps arabe ». L’importance
de l’arsenal militaire et la
crainte des manifestants d’être
récupérés politiquement par
Saïd Sadi, connu pour son rôle
très actif dans l’annulation du
processus électoral de 1991,
ayant tué dans l’oeuf les velléités
« révolutionnaires ». « Pour
comprendre la situation, il ne
faut pas oublier que la guerre
civile est encore dans les
têtes et que l’exemple de la
Libye a servi d’épouvantail »,
rappelle Nedjib Sidi Moussa,
doctorant en sciences
politiques à Paris I.
Plus sévère, Séverine Labat,
dans son article de septembre
2011 publié dans la
revue Confluences Méditerranée
mettait en avant un autre
frein important : « La culture
d’assistance dont est pétrie
la société depuis les années
Boumediene. Celui-ci, en un
pacte tacite, autorisé par la
nature rentière de l’économie,
offrit aux Algériens, sans
contrepartie en termes d’effort
de travail, de leur assurer un
certain bien-être économique
et social (les fameux “acquis
de la révolution”) en échange
de leur renonciation à tout droit politique. » Ce qui expliquerait
qu’une fois les revendications
sectorielles ou locales
contentées, « les manifestants
retournent à leurs affaires sans
se préoccuper davantage de
l’avenir du pays ».
Une économie fragile
Le statu quo sera-t-il éternel ?
« Si le consensus fonctionne
pour l’instant, tout peut changer
du jour au lendemain, juge
Nedjib Sidi Moussa. Le temps
de "l’euphorie" du partage
de la rente ne va pas durer
éternellement. Car l’inflation
ne cesse de grimper, ce qui
ruine l’effet des augmentations
de salaires. Et puis les
subventions distribuées aux
jeunes, via l’Ansej, n’auront
qu’un impact éphémère. » Le
« consensus » est en effet d’autant
plus fragile que le pouvoir
d’achat est maigre – 70 % de
la population perçoit moins de
200 euros net par mois – et
que les comptes publics se
dégradent.
« Selon certaines estimations,
l’Algérie n’aura plus de pétrole
à exporter d’ici vingt-cinq ans ;
il restera le gaz, mais les tendances
du marché mondial,
avec l’exploitation des gaz de
schiste, laissent clairement
présager que les recettes gazières
déclineront à leur tour.
Si à la rente, dont on s’attend
donc au tarissement, ne se
substitue pas un appareil économique et industriel privé
pourvoyeur d’emplois, notamment
qualifiés, l’Algérie risque
de connaître des lendemains
douloureux », annonce Séverine
Labat qui, pourtant, ne
veut pas « insulter l’avenir »
car « l’Algérie se cherche » et
les retournements historiques
sont toujours possibles. « La
dictature a produit un éclatement
du peuple inimaginable,
c’est terrible, et le débat politique
est très difficile encore
aujourd’hui, estime Tewfik Allal,
membre de l’ACDA (Agir pour
le changement et la démocratie
en Algérie), un collectif de
militants Algériens résidant en
France. Les jeunes doivent
tout reconstruire, l’État, le
dialogue social, le lien social,
vraiment tout ! »