Voici le nouvel
horizon indépassable : la
réduction de
la dette et son
corollaire, l’austérité. Matin,
midi et soir, à la télé, dans les
journaux, de Bruxelles à Paris,
la rigueur s’impose avec la
force de l’évidence. Le peuple
n’a qu’à bien se tenir et comprendre
que le salut passe par
un régime minceur des budgets
publics et une soumission aux
marchés. Toute autre porte de
sortie, aussitôt qualifiée d’irréaliste,
non sérieuse, irresponsable,
sera balayée d’un revers
de la main. Fermer le ban.
La dette est devenue le pivot
du débat public. L’espace de la
politique s’en trouve considérablement
réduit, étriqué, dépecé.
D’ailleurs, Valérie Pécresse,
ministre du Budget, ne s’en
cache pas : elle a expliqué sur
France Inter que, s’il faut inscrire
dans le marbre européen
l’objectif de réduction drastique
des déficits, c’est pour éviter
que ce dogme ne soit soumis
aux aléas des « changements
politiques », aux « décisions
des parlements ». Vive la démocratie
! La terreur qui s’installe
avec le piège de la dette
enferme dans un étroit carcan
le champ des possibles. Il s’agit
de poser les termes du débat
de telle sorte qu’une seule solution
émerge et s’impose. Hier,
sur les retraites, c’est parce que
le système courait à sa perte
qu’il fallait baisser le niveau
des pensions. Aujourd’hui, le
consensus au sommet édicte
une priorité et une feuille de
route des politiques publiques :
le désendettement, sésame de
la bonne gestion. Les plans
d’austérité qui en découlent
sont l’occasion de franchir une
étape vers la privatisation de la
protection sociale et le démantèlement
des services publics.
Comme à son habitude en matière
de logique néo-libérale,
l’Union européenne donne le
la, en frappant haut et fort : la
« règle d’or » qu’elle s’apprête à
adopter vise à fédérer les Etats
autour de l’objectif délirant
et contraignant de l’équilibre
budgétaire (zéro déficit). En
France, pour revenir à l’équilibre
à partir de la situation actuelle,
la purge nécessaire serait
de 110 milliards
d’euros, soit
40 % des dépenses de l’Etat !
Qu’importe la cure de minceur
des aides sociales, des emplois
publics, etc., pourvu que soit préservé le triple A, qualifié par
Alain Minc de « trésor national ».
L’essentiel, c’est de « rassurer
les marchés ». Bercy s’est donc
engagé à réduire ses déficits
prévus de 5,7 % à 4,5 % du PIB
en 2012 pour arriver au sacrosaint
3 % en 2013 ou 2014.
Les travaux pratiques ont été
lancés fin août, avec une série
d’annonces asphyxiantes pour
les budgets de l’Etat et des collectivités
locales. D’un côté, une
taxe symbolique provisoire sur
les revenus du travail et du capital
des plus riches qui devrait
rapporter 200 millions par an.
De l’autre, une augmentation
des impôts indirects (TVA), une
hausse des prix du tabac de
6 % ainsi qu’une augmentation
des taxes sur l’alcool et les sodas.
Au total, sur onze milliards
de coupes budgétaires, les riches en donneront à peine
10 %, et encore à titre « exceptionnel
». Les banques, en dépit
des superprofits de près de
21 milliards réalisés l’an passé,
et les grands groupes du CAC
40 peuvent dormir tranquille.
Leur crise, le peuple doit la
payer.
UMP et PS s’écharpent
UMP et PS s’écharpent non
pas pour savoir s’il faut payer la
dette, en posant la question de
sa nature, de son volume et de
son possible effacement — au
moins partiel —, mais sur le
caractère plus ou moins juste,
plus ou moins brutal, de l’austérité
jugée incontournable. Le
PS avait inscrit dans son programme
l’objectif de réduction
des déficits de 3 % durant le
mandat de 2012 à 2017. Sans
crier gare, Hollande en tête,
pour qui « la dette est l’ennemie
de la France et de la gauche »,
il s’est finalement moulé dans
le calendrier de Sarkozy. Les
difficultés boursières de l’été
et la pression européenne sont
passées par là : les socialistes
ont flanché et ses principaux
leaders ont avancé une nouvelle
échéance pour atteindre
les 3 % en 2014, voire 2013.
La « papandréouisation » est en
marche. Comme l’écrit Jean-
Luc
Mélenchon sur son blog, « le
ralliement surprise du PS au
3 % de déficit est consternant.
Il apporte de l’eau au moulin
du catastrophisme dominant
qui sert surtout à alimenter le
consentement à la politique
d’austérité dont Nicolas Sarkozy
a besoin. » Le leader du
Front de gauche fait partie des
voix dissonantes à gauche qui
n’entendent pas plier au chantage
de la dette. Isolé dans son
parti, le socialiste Arnaud Montebourg
semble, lui aussi, tenir
bon, en dénonçant « la règle
dure pour les peuples », « la
victoire des marchés », « la saignée
de Molière dont on meurt
guéri ». Pour lui, « le respect
d’un déficit de 3 % en 2013, en
France, (serait) intenable socialement
(et) contre-productive,
car il convient de soutenir et
non d’étouffer la reprise de la
croissance et des recettes fiscales
associées » (lire l’entretien qu’il accordé à Regards). Chez les écolos,
la candidate Eva Joly a également
dénoncé l’objectif des 3 %
car « l’austérité n’est pas une
fatalité ». La campagne d’Attac
(voir encadré) et les prises de
position « d’économistes atterrés
» contribuent à ouvrir un
front de résistance.
D’où vient la dette ?
Et pour cause… D’où vient
cette dette ? La peur d’une
banqueroute des budgets publics
est-elle bien sérieuse ?
Quelle alternative au dégraissage
de nos dépenses, sans
lesquelles le progrès humain et
la justice sociale ne sont que
de vains mots ? L’explosion des
dépenses publiques est brandie
par la pensée dominante
comme la raison majeure du
creusement des déficits. Les
Etats seraient trop dispendieux.
La réalité est toute autre : les
dépenses sont restées globalement
stables, avant la crise
financière. La succession de
réformes de l’impôt sur le
revenu,
puis les importants cadeaux
fiscaux faits aux riches
et aux grandes entreprises,
constituent l’une des sources
majeures de l’endettement.
Le taux marginal d’imposition,
c’est-à-dire de la tranche de
revenus la plus élevée, était de
65 % il y a vingt ans ; il s’élève
actuellement à 41 %. L’impôt
sur les sociétés n’est pas progressif
et comporte de nombreuses
mesures dérogatoires
qui profitent aux plus grandes
entreprises. Ainsi, le taux implicite,
réel, d’imposition est de
28 % pour les très petites entreprises,
de 13 % pour celles
qui emploient plus de 2 000 salariés
et de seulement 8 % pour
les entreprises du CAC 40. Le
paquet fiscal de Sarkozy a également
creusé les déficits et les
inégalités sociales. Les baisses
d’impôts cumulées depuis
2002 représentent aujourd’hui
un manque à gagner annuel de
60 milliards ! Rien qu’avec cette
somme, le service de la dette
n’est plus un problème. Focaliser
sur les dépenses permet
d’évacuer la cause centrale de
la dette qui se niche dans les
recettes ayant subi de fortes baisses.
Par ailleurs, les Etats
ont décidé d’emprunter sur
les marchés financiers, et non
auprès des banques centrales,
pour éponger leur dette. Ils se
sont mis sous l’emprise des de
ces marchés, subissant les variations
des taux d’intérêt. Avec
la loi de 1973 en France, interdisant
au Trésor public d’emprunter
directement à la Banque de
France à des taux faibles ou
nuls, et l’indépendance de la
Banque centrale européenne,
nous nous sommes défaits des
outils permettant de maîtriser
la politique monétaire, ce qui
rend les Etats dépendants des
marchés financiers. Autrement
dit, nous devons en partie nous
serrer la ceinture pour payer
les intérêts de la dette au privé,
pour engraisser les rentiers.
Cette partie de la dette est-elle
légitime ? Voilà une question
qui ne saurait échapper au
débat démocratique. Taxer à
égalité les revenus du travail et
du capital (aujourd’hui, le travail
est taxé, en moyenne à 41 % ;
les revenus du capital le sont à
seulement 19 %) est une piste
sérieuse et juste pour renflouer
les caisses. Annuler au moins
partiellement la dette doit être
mis à l’ordre du jour. Construire
une autre politique monétaire et
combattre l’orientation néo-libérale
de l’Europe sont indispensables
pour dégager une issue
favorable au plus grand nombre
face aux méfaits de la crise financière.