Le projet de réforme de la Poste ne passe pas. Et pour cause. Son président, Jean-Paul Bailly, a exposé fin août, lors du conseil d’administration du groupe, son intention de demander à l’Etat le changement de statut d’établissement public en société anonyme dès janvier 2010. Et d’ouvrir son capital aux investisseurs privés un an plus tard, date de l’ouverture totale à la concurrence du marché du courrier en Europe. Il s’agirait d’une entrée en Bourse destinée à lever des fonds propres à assurer « le développement de l’entreprise ». D’ici trois ans, la direction de la Poste estime ses besoins de financement entre « 2,5 et 3,5 milliards d’euros ». Jean-Paul Bailly a répété que l’Etat resterait « très largement majoritaire » dans le capital et que ses missions de service public resteront « inchangées » . La signature, en juillet 2008, du contrat de service public 2008-2012 entre la Poste et l’Etat indique, en effet, que la participation de l’Etat dans le capital ne peut descendre en dessous de 50%. Mais les syndicats de postiers restent lucides, l’exemple de France Télécom en tête, où l’Etat n’est plus qu’un actionnaire minoritaire depuis l’ouverture de son capital il y a douze ans... D’autant qu’à partir de 2011, la directive européenne du 20 février 2008 laisse le soin aux Etats membres de déterminer les modalités de financement du Service public universel (SPU) : collecte et distribution du courrier six jour sur sept, prix unique du timbre, accessibilité des plus démunis aux guichets de la Banque postale, présence de bureau de poste dans les zones rurales... Face à cette privatisation rampante, on est en droit de s’interroger sur le devenir de ces missions de service public qui incombent à un établissement aussi emblématique que la Poste. Le premier et le plus ancien service de proximité en France.
REJET DES SYNDICATS
La déclaration de Jean-Paul Bailly peine donc à convaincre les syndicats. Lesquels s’attendent unanimement à une hausse des tarifs postaux, à une baisse de la présence postale sur le territoire et à de réelles menaces sur l’emploi. Une intersyndicale s’est formée. Six syndicats (CGT, CFDT, FO, SUD, CFTC et CGC) ont organisé une grève nationale unitaire avec manifestation le 23 septembre dernier. Du quasi-historique. Lancée au début de la période estivale, la pétition de la CGT « Touche pas à ma Poste » a déjà recueilli plus de 100000 signatures du personnel mais aussi des usagers. Les leaders des partis de la gauche, François Hollande (PS), Marie-George Buffet (PC), Jean-Pierre Chevènement (MRC) et Jean-Michel Baylet (PRG) leur ont emboîté le pas en lançant également une pétition commune « contre la privatisation de la Poste ».
Alain Delecolle, secrétaire fédéral CGT des activités postales rejette ce projet : « Quand on commence à ouvrir le capital d’une entreprise publique, la logique veut qu’on aille vers une privatisation totale. Et qui dit privatisation totale dit contrôle par les actionnaires et les fonds de pension, pression constante sur la direction pour obtenir de la rentabilité. » Et d’ajouter : « Il est en outre inexact de prétendre que le changement de statut et l’ouverture du capital de la Poste seraient nécessaires à la sauvegarde de sa santé financière : la Poste se porte bien, comme en témoignent ses 10 milliards d’euros de chiffre d’affaires et un milliard de bénéfices. » Pour Régis Blanchot, secrétaire fédéral de SUD-PTT, ce changement de statut et cette introduction en Bourse n’ont pas de sens : « C’est un système idéologique qui ne vise pas à équilibrer gains et pertes, mais qui veut rentabiliser la moindre opération. On ne permettra pas longtemps au facteur de desservir une maison perdue, quand chacun pourra utiliser sa voiture pour retirer son courrier au guichet le plus proche, qui de regroupement en regroupement sera de plus en plus éloigné. C’est un bradage du bien public. » Michel Pesnel, secrétaire général adjoint de la fédération FO-Communication, tient également à défendre la mission de service public de la Poste et l’emploi de ses 280000 collaborateurs dont 60% de fonctionnaires : « Quand on privatise, on veut un retour sur investissement. Il y a fort à parier que le service postal privatisé, après s’être engagé sur quelques missions de service public, ne tardera pas à revoir ses services à la baisse et ses tarifs à la hausse, sous prétexte que la conjoncture l’y oblige. » Hervé Morland, secrétaire général de la fédération communication de la CFDT insiste, lui, sur le rôle social de la Poste : « Les bureaux de poste constituent un lieu de socialisation notamment pour les immigrés d’où la nécessité de maintenir un maillage suffisant à travers tout le territoire. »
Et du côté des salariés ? Ludovic, facteur à Paris, âgé de 31 ans, pense que la qualité du service rendu au public va pâtir de cette privatisation : « Les actionnaires privés vont privilégier ce qui est rentable pour se servir des dividendes. La privatisation, c’est la fin du tarif unique postal, des tournées sur l’ensemble du territoire, la fermeture de milliers de bureaux de poste en zone rurale et dans les quartiers populaires, la suppression de milliers d’emplois... » Du côté des usagers, même son de cloche : « A quand la distribution du courrier cinq jour au lieu de six, ou les boîtes regroupées à l’entrée du lieu-dit pour raccourcir la tournée du facteur » , tempête une caissière à mi-temps titulaire d’un livret A à la Banque postale.
REFERENDUM, OUI, MAIS...
Lancée par plusieurs syndicats (FO, SUD et CFTC), mais également soutenue par le quotidien Libération , l’idée d’organiser un référendum d’initiative populaire sur la privatisation de la Poste a depuis fait son chemin. Car cette privatisation « dépasse de loin les questions postales » . Pour Michel Pesnel, de FO-Communication, « la Poste incarne le noyau dur du service public, propriété de la collectivité. Dès lors, il paraît naturel que les citoyens puissent s’exprimer directement sur l’avenir de la Poste » . En outre, FO-Communication appelle à la création d’un comité national pour l’organisation d’un référendum sur le service public postal. Un comité ouvert aux organisations, aux personnalités et aux citoyens qui refusent la privatisation de la Poste. L’article 11 révisé de la Constitution leur ouvre ce droit. Désormais, toute réforme « relative à la politique économique, sociale ou environnementale de la Nation et aux services publics qui y concourent » peut motiver une proposition de loi soutenue par un dixième du corps électoral et portée par un cinquième des parlementaires. « La tenue d’un référendum doit être un point d’appui pour construire un courant d’opinion favorable à la défense du service public postal. C’est à l’ensemble de la population de s’exprimer sur l’avenir de la Poste » , souligne Régis Blanchot, de SUD-PTT, qui souhaite fédérer trois à quatre millions de personnes à travers ce référendum. A la CFDT, on estime qu’il faut d’abord lancer le débat en interne, comme l’explique Hervé Morland : « Un référendum serait simplificateur. Ce problème est tellement complexe qu’on ne peut pas y répondre par oui ou par non. De plus ce serait déposséder les postiers du débat. Ils n’auraient plus voix au chapitre. » De son côté, Alain Delecolle, de la CGT, pense qu’un référendum serait « prématuré » car « le rapport de force commence d’abord en interne » .
La privatisation de la Poste pourrait bien s’imposer comme un sujet d’affrontement majeur entre syndicats et gouvernement. C’est en tout cas le point de vue de Bernard, 43 ans, guichetier dans un bureau de poste situé dans l’Est parisien : « C’est maintenant qu’il faut agir. La bonne solution serait de combiner un mouvement rassemblant les salariés, les usagers et les élus. »
J-.B.F.
Paru dans Regards n°55 octobre 2008