Accueil > Culture | Par King Martov | 14 juin 2011

La Rumeur jette l’encre sur Canal

Hamé et Ekoué, deux membres du groupe de hip-hop La Rumeur,
diffusent en juin, sur Canal +, leur première oeuvre en images : « De
l’encre ». Cette mini-série très personnelle ne se limite pas à une histoire
secrète du rap français. Attention, tout ici n’est pas que pure fiction…

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Canal + s’entête donc à « jouer sa différence »
dans le PAF, entre mondanités cannoises,
miss météo future (mauvaise ?) actrice, overdose
de foot et le classique film X du premier
samedi du mois… L’époque semble en effet
démontrer que le cinéma et la télé sont finalement de bons
débouchés – ou sorties de secours, tout dépend du point
de vue – pour les valeurs sûres, au sens large, du rap français
 : Stomy Bugsy l’a déjà amplement
démontré, Joey Starr de feu
NTM parade désormais à Cannes,
et voilà maintenant La Rumeur qui
débarque sur la chaîne qui se rêve
toujours en HBO tricolore (il reste
de la marge, notamment niveau séries).
Cela dit la concurrence reste le moindre des soucis, tant les autres chaînes, notamment les filles aînées de l’église cathodique (bref les canaux de
1 à 6), rivalisent de frilosité face aux « cultures urbaines » et
appliquent depuis longtemps les fameux « quotas » envisagés
à la Fédération française de foot.

La Rumeur est l’un des groupes phares (au sens où il est
souvent le seul à briller dans le noir) du hip-hop français,
marqué au fer rouge par son intransigeance, ses textes affûtés
et son hermétisme aux modes (que ce soit le « rap-game »
à la Booba ou le « artistiquement mature » du « old school »),
ainsi que son long et victorieux procès face au ministère de
l’Intérieur, pour diffamation à l’encontre de la police.

Casting réussi

« De l’encre » s’inscrit dans la continuité des préoccupations
portées par les très militants albums du groupe, à commencer
par régler leurs comptes avec l’industrie du disque (ils
ont toujours mis un point d’honneur à rester indépendants) et
avec certains de leur « confrères » , notamment les slameurs
« bonne conscience », égratignant directement Abd al Malik.
On regrettera peut-être au passage, connaissant la passion
d’Hamé pour le septième art, de ne point les voir travailler
d’autres sujets, avec leur regard forcément décalé.

Toutefois, à l’instar de leurs titres, ces thématiques fortes sont
portées par un style narratif formellement impeccable. Il s’agit
ici d’abord de raconter un drame à l’horizon individuel, avec
un parti pris fictionnel plutôt bien senti et retranscrit (avec
néanmoins en creux des questions sûrement volontairement
non traitées, comme la religion, le sexisme, etc.), en dépit de
quelques scènes qui alourdissent le rythme ou brouillent le
propos (un baiser lesbien chez « les bourgeois », etc.).

Le casting constitue sûrement les fondations de cette réussite.
Passons rapidement sur Béatrice Dalle, de plus en plus
impériale au fil du temps. Insistons davantage sur la révélation
de cette série, Karine Guignard qui tient le rôle principal
(Nejma), et surtout sur les deux acteurs révélés en 2009 par
Un Prophète : Reda Kateb (le producteur) et Slimane Dazi
(dans le rôle du « daron », voyou à l’ancienne). Notons aussi la
bonne prestation de Malik Issolah en directeur artistique bobo
vaguement collabo du système, pétri de remords.

Car de quoi et surtout de qui parle-t-on ? De Nejma (que les
deux auteurs affirment inspirée de rencontres lors des ateliers
d’écritures qu’ils animent dans toute la France), petit bout de
femme parisienne du 18e arrondissement,
brute et dense, rappeuse
atypique qui essaie de faire son
trou avec Romuald – son producteur
artisanal – et les reventes aux
puces de son album. Elle se résigne,
pour soutenir sa famille (les
dettes de la mère, le retour de prison
du père) et satisfaire ses envies
légitimes d’un peu de confort, à endosser
la fonction de ghost writer.
Bref, d’écrire les textes des autres,
et plus particulièrement ici de Diomède,
caricature de gentil garçon
de la « diversité » pour grand-mère
UMP. Et les pièges se multiplient
au fur et à mesure qu’elle s’enfonce
dans le cercle vicieux de la musique
commerciale.

Portrait au vitriol

On l’aura vite compris, le récit offre
aussi l’opportunité de dresser un
portrait au vitriol du fonctionnement
des majors et de leur rapport à une
culture rap contemplée de manière
instrumentale et condescendante
(on aurait pu dire la même chose
du rap « caillera », excellent fond de
commerce, avec La Fouine ou Booba).
Ou quand ceux qui aiment se
revendiquer de la « rue » rencontrent
finalement des « gangsters à cravate
 » bien plus retors qu’eux.
Le happy end final – « Encore plus
fort, pour encore plus de delbord
 !
 » chante La Rumeur – existe t-
il encore dans le monde réel… ?

A voir

« De L’encre », série d’Hamé et Ekoué, trois
épisodes de 26 minutes.

Diffusion de la version 90 minutes sur Canal + le 15 juin.

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