Accueil > Société | Par Cécile Babin | 1er juin 2006

Langue française, pouvoir et séduction

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Pendant que Jean-François Copé se contente de promettre : J’arrête la langue de bois en couverture de son livre qui assure n’éluder « aucune des réalités souvent cachées par les dirigeants », Olivier Besancenot use d’un tout autre style pour constater net qu’avec la débâcle du CPE, « Villepin est cramé ». Laurent Fabius, sur le même sujet, apparemment dans le même registre mais au demeurant plus institutionnel, dit : « Le gouvernement est carbonisé. » Jean-Luc Mélanchon, lui, exaspéré comme souvent, se lâche : il en a désormais « plein le cul ». De quoi ? Peu importe, à ce stade de niveau de langage, la question n’est plus là. Jean-Luc Mélanchon n’est pas « désespéré », il ne dit pas « cela suffit », ni « voilà atteintes les limites du tolérable », non, il en a « plein le cul » et, plus qu’une expression, n’est-ce pas là la traduction d’une posture ?

L’ère de la parole rationnelle, de la langue employée selon une norme devant évacuer les ambiguïtés pour construire une argumentation démontrant que la voie engagée est bien celle de la vérité, n’a jamais été si lointaine que de la nôtre. De nos jours, la langue de l’homme public ne sert pas qu’à dire et argumenter. Si le but est de convaincre, mieux vaut se faire comprendre, tant politiquement que personnellement, ce qui demande d’incorporer au langage une large dose de pathos (ce qui permet d’émouvoir l’auditoire) et d’ethos (ce qui permet à l’orateur de se construire une image). Des procédés rhétoriques que nos antiques penseurs avaient déjà cernés, mais auxquels la révolution audiovisuelle a donné une place et une puissance sans précédent.

L’impératif médiatique

Car notre ère est celle des médias et de la télévision, et cela s’entend très distinctement dans la bouche des orateurs d’aujourd’hui. « Dans une société que l’on considère être de communication, où la logique audiovisuelle prévaut, les hommes politiques, comme les autres acteurs sociaux, sont obligés d’adapter leur discours, analyse le politologue Arnaud Mercier. Cela passe par une simplification du vocabulaire et de la construction des phrases, avec notamment une diminution du nombre de relatives, ainsi que par la capacité à synthétiser ce que l’on veut dire sous la forme de phrases courtes, de slogans. » Ce que les hommes politiques ont fini par intégrer, c’est l’impératif de reprise médiatique. Il exige un phrasé choc et une organisation marketing qui expliquent pratiquement à eux deux les différences de ton, de musique et de vocabulaire qui rangent de part et d’autre d’une rupture dans la forme du discours politique les documents d’archives noir et blanc que l’on peut dater d’une oreille et les formules si « naturelles » de Nicolas Sarzozy. « En 1965, la télévision était encore sous contrôle gaulliste et les mentalités politiques très réticentes à la publicité et au marketing, rappelle Arnaud Mercier. En 1969, la démission de De Gaulle et, en 1974, le décès de Pompidou n’ont pas laissé le temps d’organiser une campagne d’ampleur. Il a fallu attendre 1981 pour assister à la première campagne pensée en termes de marketing. »

La stratégie Sarkozy

« Je veux être compris des CSP : : : (1). » La stratégie de Nicolas Sarkozy est exemplaire. « Quand on souhaite s’adresser au plus large public, on s’adapte au public le moins instruit en partant du principe que qui peut le plus peut le moins, explicite Claire Artufel, consultante spécialisée en communication institutionnelle publique et en études d’opinion qui a étudié la communication du ministre (2). Selon une étude anglaise, Sarkozy ou Le Pen, pour s’exprimer publiquement, se contentent de 2 000 mots environ, quand Alain Jupé, par exemple, en emploie 5 000. » Cependant, le champ d’action du ministre est déterminant pour son langage puisque les publics concernés en dépendent. « Quand il était au ministère de l’Economie, son registre de langue était plus modéré, il maniait de grands concepts : ses propos intéressaient des patrons de grandes entreprises et portaient au niveau international. » A l’Intérieur, forcément, c’est autre chose. Les préoccupations des Français reprennent leurs pleins droits. Il connaît l’état d’esprit de ses concitoyens : rejet de la classe politique, perte de confiance dans les institutions. L’électorat populaire a poussé un grand cri le 21 avril 2002. Selon une enquête du Cevipof parue en mai, et commandée par son ministère, 39 % des Français ne savent plus s’ils sont à gauche ou à droite et 70 % d’entre eux ne font plus confiance ni à la gauche ni à la droite. Alors, sur la stratégie, il emprunte à l’extrême droite en politisant le rejet de la politique. Quant à la forme, « en utilisant l’argot, le message qu’il veut faire passer est « marre des grands concepts », décrypte Claire Artufel. Ce qu’il veut induire par là, c’est une remise en cause de la manière dont est posé le débat public et une remise en question du rôle de l’Etat. » Les Français, il se veut leur alter ego, alors le style suit, tel que le décrit Arnaud Mercier : « Moi, je parle comme tout le monde et non pas dans le français émasculé des énarques. » Son langage doit se distinguer : il est un marqueur de sa différence. Il ne parle qu’au performatif : sa parole fait ce qu’elle dit. Car elle a tant de fois déçu, cette parole politique qui ne tient jamais ses promesses, que certains orateurs d’aujourd’hui tentent, pour se faire une crédibilité, de la désacraliser. Il faut s’écarter d’un déjà entendu, d’une musique bien connue dont trop de monde est lassé. Il faut maintenant « parler vrai », parler comme les « vrais gens », et surtout ne pas seulement les désigner : « la France d’en bas », ça ne marche pas, même si l’expression ne consiste jamais qu’à reconnaître honnêtement que l’on n’en est qu’un représentant.

Parler comme tout le monde

Parler la même langue, c’est entrer en empathie. Se comprendre immédiatement, c’est échanger bien plus que des idées, c’est partager de soi, des choses bien plus enfouies, c’est se reconnaître d’instinct, communiquer avec ses tripes, avant même le langage, a-t-on finalement l’impression. Alors on surjoue le « me voici tel que je suis ». On feint plus ou moins grossièrement la spontaneité. On lance parfois un « Marie-George, Arlette, José... si on causait ? » dans les pages Point de vue du Monde, pour organiser un rendez-vous « pourquoi pas autour d’une bonne bouffe à quatre ? » « Allez c’est moi qui régale ! », conclut Olivier Besancenot quand des débats pour ou contre une candidature unitaire à gauche du PS à l’élection présidentielle animent les militants au moins depuis le référendum sur le projet de Constitution européenne. La gouaille suggérée vient nous rappeler que le porte-parole de la LCR ne veut pas le pouvoir mais, avant tout et avant tout le monde, un moment de partage populaire.

A priori, l’un veut légitimer la parole du peuple, l’autre veut s’en servir. Besancenot et Sarkozy, chacun dans son style, s’affranchissent tous les deux d’une norme langagière pour parler « comme tout le monde ». Lequel des deux peut-il être taxé de démagogue, de populiste ? Question de point de vue, selon Patrick Charaudeau (3), directeur-fondateur du Centre d’analyse du discours : celui qui parle « est-il seulement un être de discours construit, seulement un être social empirique, ou bien l’un et l’autre ? et dans ce cas l’un des deux prend-il le pas sur l’autre ? (...) L’ethos, en tant qu’image qui s’attache à celui qui parle (...) n’est jamais que l’image dont l’affuble l’interlocuteur, à partir de ce qu’il dit. » (4)

1. Les CSP- - - : catégories socio-professionnelles classées de - - - à + + +.
2. Claire Artufel et Marlène Duroux, Nicolas Sarkozy et la communication, éd. Pepper, 2006.
3. Patrick Charaudeau, professeur à l’université Paris-Nord, est auteur du livre Le Discours politique, éd. Vuibert, 2005.
4. Patrick Charaudeau, Le Discours politique

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  • L’an pire du vice pieu ...

    Comme disait le grand sage chinois (1,75m) mais néanmoins fatigué, Lao Pieu à l’approche de l’année nouvelle, je cite : "un chien vaut mieux que deux kilos de rats", je m’inspire de sa sagesse millénaire et sa "sérénitude" conquise sur la grande muraille pour dire : "un rein vaut mieux que deux kilos de foie."
    Je me posais la question de savoir s’il était possible de trouver en chine de nos jours bien sombres, un rein de Pékinois (le chien, pas l’habitant de la capitale) ou de chien Népalais puisqu’il aura de fait le rein beau, bref d’une bestiole sinocompatible. Dans ce pays où le meilleur ami de l’homme tout comme ce dernier ne semble pas valoir roupignolle de sansonnet (je ne garantis pas la formule), il devrait être possible de me rendre ce service, largement rétribué bien entendu (il n’est pas question ici de chiner), afin de sauver mon Lhassa Apso.
    Mon Lhassa Crin (c’est son petit nom) souffre en effet d’une insuffisace rénale et périnéale (je vous dis pas le merdier).
    Je sais, on est loin de la poésie, se soucier d’un chien alors que l’on fusille et néphrectomise des hommes dans le pays du capitalisme d’état débridé, c’est un peu rat comme l’année du même nom.
    Mais moi, j’y tiens à mon toutou et n’ai pas la carrure du judoka pour vouloir un monde meilleur sponsorisé par une boisson gazeuse ou une marque de 4x4.
    Je suis prêt à mettre le prix au pays du grand qui monnaiye.
    En cas de réponse positive , je promets d’aller soutenir au stade olympique du nid d’oiseau plumé, en compagnie de mon pote allah récemment converti au bouddhisme, le champion en titre chinois Lao Gaï, détenteur du record du monde de l’attrapé de balles de fusil avec les dents (les yeux bandés) à une distance réglementaire de cinquante mètres du tireur couché (j’en ai le frisson qui me parcourt l’échine rien que d’y penser).
    Vive l’économie de marché à pas accélérés, vive le sport qui enthousiasme les foules, vive le don de soi et d’organe !

    Muguet Le 8 août 2008 à 00:00
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