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Eric Woerth dans l’affaire Bettencourt, c’est l’histoire d’une com’ qui déraille. Dans le couteau suisse gouvernemental, il faisait office de lame anti bling-bling. Un bon cheval dans une séquence de gravité voulue par l’Elysée. Mais voilà, le canasson a raté un obstacle, étalé de tout son long dans un marécage fleurant bon le conflit d’intérêt à répétition qui casse un peu le mythe du bon père de famille, gestionnaire d’une France en crise.
Vent de panique à droite ! Le Figaro : propriété de Serge Dassault dirigée par le très dévoué Etienne Mougeotte : a fait preuve, tout au long de l’été, d’une solidarité élyséenne qu’il convient de saluer en en faisant l’inventaire.
« Affaire Bettencourt : Eric Woerth contre-attaque » titre le quotidien le 28 juin. La parade tombe sous le sens, nous sommes en plein débat sur les retraites et le Figaro défend la thèse de Woerth « cible politique ».
« Le mystérieux chasseur »
Quelques jours passent, durant lesquels Eric Woerth doit encaisser à un rythme soutenu les révélations du site Mediapart et de Marianne . Le 7 juillet, s’en est trop. Eric Woerth crie sa colère en Une du Figaro : « Ca suffit ! » Il s’agit pour le ministre d’une « cabale politique orchestrée par le parti socialiste ». Dans son édito, Paul- Henri du Limbert s’étrangle : « Le scénario est un peu trop bien léché pour être crédible. (...) Le mystérieux chasseur n’a pas de preuves mais il a un fusil. » « Depuis trois semaines, la parole est à l’accusation. On n’entend qu’elle. Il esttemps que la défense intervienne . » Sacrebleu Paul-Henri, on ne pourra pas vous reprocher de parler en l’air. Suite à cet édito, le Figaro fera sept fois de suite sa Une sur l’affaire. Historique ! On vient chatouiller le record des dix Unes consécutives que n’importe quel quotidien consacrait aux attentats du 11-Septembre en 2001.
Des accusations non vérifiées
Le 8 juillet, donc, pour se mettre en route, « Fillon monte en première ligne » dans l’affaire Bettencourt. Mais c’est le lendemain que le journal abat sa plus belle carte : « Le témoignage boomerang contre l’accusation. » Ce jour-là, le Figaro publie un extrait du procès verbal de l’audition de l’ex-comptable de Liliane Bettencourt. La Société des journalistes (SDJ) du Figaro, sans doute jalouse d’avoir été tenue à l’écart du scoop, de même que les journalistes chargés du dossier, sort un communiqué. Pour la SDJ, il s’agit d’un « PV tronqué, assorti d’un article non signé, qui participait à l’évidence de la stratégie de communication élaborée à l’Elysée ». Pour les journalistes du Figaro, Etienne Mougeotte « a publié des accusations sans les avoir vérifiées. Il a orienté les témoignages de l’ancienne comptable pour lui faire dire autre chose que ce qu’elle voulait dire . » Ambiance.
Le 10 juillet, guère plus à raconter, mais on fait la Une quand même coco, ça nous fera prendre de l’élan pour la suivante. Car la suivante, le 12, est sans appel, magnifique de certitude : « Affaire Bettencourt, le rapport qui blanchit Eric Woerth. » Du coup, Paul-Henri du Limbert saisit sa plus belle plume et s’enflamme : « Les épreuves abattent les uns et motivent les autres. Le chef de l’Etat fait partie de la seconde catégorie (...) A lui de rétablir les faits. Et à lui de montrer que les grands enjeux auxquels doit faire face la France aujourd’hui vont bien au-delà des témoignages d’une ex-comptable et d’un majordome . » Allez hop, circulez les prolos.
Et c’est le jour que choisit Nicolas Sarkozy pour prendre la parole, interviewé sur France 2 par le pitbull de l’info, David Pujadas. Le Figaro ne pouvait pas ne pas en faire sa Une : « Sarkozy dénonce les calomnies. » Un titre sur lequel les pinailleurs relèveront un malencontreux oubli des guillemets qui s’imposaient au terme « calomnies ».
Enfin, le 14 juillet, alors que les « calomnies » sont écartées, au moins pour les lecteurs du Figaro , la Une s’impose une dernière fois, celle de la pacification. C’est un Eric Woerth visiblement apaisé que le Figaro donne à voir. « Comment j’ai surmonté l’épreuve », titre le quotidien. Sur ses genoux, le lecteur, ému, peut voir un dossier ouvert. Les affaires peuvent reprendre.
Epilogue provisoire . Mediapart révèle mi-août qu’Eric Woerth a attribué la Légion d’honneur au comptable qui avait certifié ses comptes de campagne. Pour la financer, il aurait aussi falsifié ses déclarations de revenus. A l’heure où nous bouclons, et malgré les efforts soutenus du Figaro , si Woerth n’est coupable rien, il n’est en aucun cas « blanchi ». La journaliste du service politique Sophie Huet a été promue cet été officier de la Légion d’honneur.
Rémi Douat