Nous ne subirons pas en 2008 l’odieux Paris-Dakar. De toutes les nouvelles de ce début d’année, en tout cas dans le registre sportif, celle-ci fut la plus réconfortante. Le plus pitoyable reste toutefois qu’il aura fallu un lamentable chantage islamo-terroriste (et la menace la plus inquiétante pour l’avenir pèse en premier lieu sur les Mauritaniens) pour que cette abomination automobile se trouve clouée sur place. On aurait certes préféré voire un mouvement de protestation de masse, des intellectuels indignés, des médias critiques avoir la peau de « la bête immonde » en 4x4.
Malheureusement, cette course de la honte n’aura jamais véritablement scandalisé les élites, et de nombreux artistes en furent souvent de chauds complices (y compris Coluche), sans choquer d’ailleurs davantage le bon peuple, bouche bée devant les sketchs nocturnes de Gérard Holtz. Pourtant, il y avait de quoi remuer les tripes des meilleurs militants qui, hormis la mouvance Quels Corps ?, considéraient d’un œil distant et indifférent cette fête foraine ambulante et métallique, couverte de sponsors, négligeant par là même l’énorme impact sur l’imaginaire de nos concitoyens que véhiculait (c’est le cas de le dire) une telle monstruosité de pneus et d’huile. Depuis 1979, peu d’événements symbolisèrent en effet à ce point la permanence du regard colonial sur l’Afrique. Autrement dit l’amour du continent noir et du Sahara, mais le mépris total pour ses habitants, réduits au rang de silhouettes fugaces devant les caméras soumises du service public. Le désert vécu comme un décor de « l’aventure humaine » de quelques privilégiés se baladant au milieu du drame permanent d’une région ravagée par la misère et la guerre, avec des « villages exotiques » agrémentant ce quasi-décor de cinéma. Les arguments pseudo-humanitaires ne tiennent pas la route devant la morgue de la plupart des participants, dont finalement la seule passion ne se porta jamais que sur le chrono et leurs belles voitures ou motos, objets vrombissants de leur puissance toute virile sarclant le territoire « vierge » de « l’Afrique sauvage ». Un dédain qui alla du comique jusqu’aux formes les plus abjectes, surtout lorsque le nombre des morts « civiles » (dix-sept spectateurs dont huit enfants) , commença à s’additionner dans le passif moral de l’organisation. Les coureurs en goguette n’allaient pas gâcher leur plaisir pour des dégâts collatéraux, souvent rendus responsable de leur propre mort en raison de leur « inconscience ». Une situation que dénonça le Collectif des victimes anonymes du Dakar, notamment après la mort de deux enfants en 2006, Boubacar Diallo, 10 ans, et Mohammed Ndaw, 12 ans. On se souvient aussi des affaires de pollution de points d’eau, ressources inestimables dans cette région, par des coureurs angoissés par leur retard au point d’oublier ce qu’il adviendra après leur éphémère passage dans les dunes de Mauritanie ou du Maroc. Certains penseront que nous avons mauvais esprit. En effet, et même avec une fierté certaine que le spectacle de tous ces casques bariolés en deuil ne fait qu’exacerber. Nicolas Kssis
Regards n°48, Février 2008