Accueil > idées/culture | Par Roger Martelli | 1er septembre 2005

Le peuple contre le populisme

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Quelle alternative au populisme pour construire l’unité du peuple et pour qu’il devienne l’acteur central de la vie politique ? Quelles que soient ses outrances et quel que soit son avenir immédiat, la tentative Sarkozy vise juste. Ce qui est au cœur des évolutions contemporaines, c’est bien la manière dont l’agrégation des individus fonctionne en société. « Le » peuple au singulier à bien des égards n’existe pas. Les catégories populaires sont par essence diverses, traversées par les clivages de statuts, de revenus, de conditions, de cultures. Mais l’idée d’un peuple rassemblé ne relève pas que de la fiction. A tout moment, les catégories populaires tendent à s’unifier et à se constituer en « peuple ». L’unité provient au départ du statut commun de dominé : celui de la paysannerie dépendante des sociétés rurales et féodales, ou celui du salariat. Le peuple n’est alors rien d’autre que l’ensemble des dominés, qu’ils acceptent ou non cette domination, qu’ils la rejettent ou qu’ils l’intériorisent.

La grande phase démocratique, amorcée au XVIIIe siècle, a fait émerger une autre figure, politique celle-là : dominé dans l’espace économique, le peuple aspire à être un acteur majeur dans l’ordre politique. Reste à savoir comment il peut l’être. Aux XIXe et XXe siècles, il a tenté de se regrouper au travers des grandes références à la République, au socialisme et au communisme. Tous trois ont reposé peu ou prou sur la délégation de l’intérêt commun à l’Etat, ce qui les différenciait étant le caractère plus ou moins populaire et plus ou moins subversif de l’Etat que l’on se fixait pour but de conquérir. Tous trois ont buté sur la crise de l’intervention publique qui a marqué les dernières décennies.

état et demande populaire

Le libéral-populisme s’installe dans les béances laissées par cette triple crise. Il postule que le peuple n’est pas divers mais uni, défini négativement par opposition à l’extérieur qui le menace (l’immigré, le terroriste, l’islamiste, le jeune des banlieues...) et à l’élite qui l’ignore et le méprise. Ce peuple ainsi défini se tourne vers l’Etat, à qui il ne demande plus de créer de la richesse ou de la redistribuer, mais de le protéger contre le désordre qui menace les faibles. Et pour que l’Etat assure ce rôle, il faut que ceux qui le dirigent soient capables d’enregistrer immédiatement la demande populaire et de la traiter en direct. L’unité du peuple se matérialise dans l’individu choisi par le suffrage universel, qui est à son écoute et qui, en retour, quand il s’exprime, permet au peuple de parler d’une seule voix.

Il ne suffit pas de stigmatiser le libéral-populisme. Il ne suffit pas même d’en combattre les effets. L’action immédiate suppose de s’appuyer sur un dispositif au moins aussi cohérent et au total plus populaire que celui de la démagogie populiste. Les catégories populaires ne gagnent rien à s’enfermer dans les impasses des faux conflits : les « in » et les « out », les exclus et les intégrés, les précaires et les stabilisés. Si elles peuvent et doivent s’unifier, c’est autour de projets cohérents. Elles l’ont fait, autrefois, autour de la référence au suffrage universel, puis autour de l’exigence de régulation publique et de protection sociale. Aujourd’hui, le peuple ne peut se constituer en acteur politique qu’autour d’un projet incluant à la fois un modèle alternatif de développement, une conception de l’espace public commun et un type renouvelé de démocratie.

Restera à trouver les formes politiques capables de formaliser et de porter un tel projet. Question qui ne se règle pas en quelques phrases, en fin d’article... Une seule certitude ici : si le libéral-populisme est devenu un danger majeur dans l’espace politique, ce n’est pas la méthode sociale-libérale qui permettra de le contrer. L’exemple anglo-saxon montre au contraire que le social-libéralisme peut être une pédagogie particulièrement efficace à la mise en place d’équilibres qui n’ont plus grand-chose à voir, ni avec la pente sociale du mouvement ouvrier ni même avec la tradition démocratique. Si l’on veut penser « peuple » et « société », c’est vers un dépassement de la norme libérale qu’il faut porter l’effort.

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