« Agent typé (peau
mate), cheveux
grisonnant s
coupés courts.
Age : 45 ans environ.
Porte un blouson noir non
RATP en conduisant. » Qu’on
ne s’y trompe pas. Ce portrait,
au style lapidaire, au contenu
discriminant, n’a pas été rédigé
par un fonctionnaire de police
mais par une « mouche », autrement
dit par un agent de la
brigade de surveillance du personnel
de la RATP.
Mouche… Mouchard ? Mouche
du coche ? Si les agents interviewés
ne connaissent pas
précisément l’origine de ce
sobriquet, ils sont en revanche
aguerris aux pratiques desdites
bestioles pour la simple
et bonne raison qu’ils en font
les frais régulièrement. De fait,
chaque jour, ils sont susceptibles
d’être surveillés par ces
agents très spéciaux – 19 au
total selon les syndicats – officiant
dans le plus grand secret
au sein du service de surveillance
interne de la RATP : la
brigade de surveillance du personnel
(BSP).
Assermentées mais en civil, les
mouches volent de bus en bus
sans jamais dévoiler leur identité,
ni leur activité, se faisant
passer pour des voyageurs
lambdas. Ainsi protégées par
leur anonymat, fondues dans la
masse des usagers, elles ont
alors tout le loisir d’observer de
près les conducteurs sur la base
d’un certain nombre de critères
bien définis : la tenue vestimentaire,
l’accueil des passagers,
la conduite, le respect du code
de la route, des horaires, la propreté
de la voiture, etc.
En toute discrétion
L’anonymat étant la pierre angulaire
de la profession, les agents
de la BSP quittent le bus sans
avoir informé le conducteur des
faits qui lui sont reprochés. Ces
derniers seront consignés dans
un rapport, lui-même transmis à
la direction, et donneront lieu à
des sanctions. « ça fait vingtdeux
ans que je travaille à la
RATP, raconte Philippe Touzet,
conducteur et responsable
syndical à SUD, j’ai toujours
connu les mouches. Mais dans
le temps, les mouches venaient
nous voir à l’issue de leur observation.
On pouvait s’expliquer
sur telle ou telle option de
conduite. La circulation à Paris
est loin d’être toujours évidente.
Il s’agissait davantage d’un
échange. Aujourd’hui, c’est différent.
On doit s’expliquer sur
la base d’un, voire de plusieurs
rapports, les faits remontant
souvent à plusieurs mois. »
L’exercice semble difficile en
effet, sans compter que les
agents prennent connaissance
de ces rapports au moment
où ils font l’objet d’une procédure
disciplinaire et il s’agit
moins alors pour eux de s’expliquer
que de se défendre.
« Les mouches sont les principales
pourvoyeuses du conseil
de discipline. Leurs rapports ne
donnent pas toujours lieu à des
sanctions graves, souvent à de simples observations ou
des avertissements. En clair, à
des décisions qu’on ne va pas
contester en justice, explique
Philippe Touzet. Mais au fil
du temps les rapports s’accumulent,
alimentent les dossiers
et au final, on se retrouve avec
une mise à pied ou une convocation
au conseil de discipline
en vue d’une révocation. » Et
d’ajouter : « On se retrouve
aux prud’hommes avec des
dossiers chargés, présentant
les conducteurs comme de
véritables criminels. Certains
rapports datent de plus de dix
ans. C’est comme si on jugeait
un être humain sur toutes ses
fautes commises au cours de
sa vie professionnelle. »
Des suivis ciblés
Environ 50 % des suivis effectués
par les agents de la BSP
résultent d’une demande précise
de la direction. Cela dit,
les syndicats restent prudents
sur ce chiffre car malgré leurs
demandes réitérées, ils ne parviennent
pas à obtenir de statistiques
détaillées. Quant aux
raisons qui motivent ce genre
de procédure, selon Philippe
Touzet, « il suffit qu’ils aient
quelqu’un dans le collimateur.
Le plus souvent cela fait suite à
un arrêt maladie. Dans le plan
entreprise, le présentéisme
est un enjeu majeur. Mais les
syndicalistes sont aussi des
cibles privilégiées, ainsi que les
jeunes… »
La formule officielle du responsable
des ressources humaines
extraite d’un courrier
de demande de suivi fait froid
dans le dos : « Je sollicite vos
services pour effectuer la surveillance
d’un agent (…) du
groupe hors-ligne. Cet agent
non commissionné, qui par son
comportement me laisse à penser
qu’il ne respecte pas toujours
la réglementation et de ce
fait n’aurait pas sa place dans
l’entreprise. »
Et quand on cherche, on trouve.
Quitte à faire feu de tout bois.
Sans compter qu’« on commet
toujours des erreurs », lâche
amer Ali Issaad, délégué syndical
SUD. En témoignent ces
extraits de rapport de la BSP :
« L’agent regarde monter la
clientèle. Il ne prend pas l’initiative
des salutations, mais
répond à celles-ci » ; « un plan
de ligne manque à l’avant du
bus » ; « voiture non faite à la
gare de Sarcelles » ; « annonce
vocale mal réglée » ; « manipule
son téléphone » ; « ne met pas
le frein de service », etc.
Pour Thierry Bonnet, conducteur
formateur et délégué
syndical SUD, ce type de surveillance
pose évidemment
la question de l’intégrité des
« mouches » – qui surveille les
mouches ? –, mais aussi celle
de la production de données
à caractère personnel. « Seuls
les rapports à charge sont
versés au dossier, les autres
sont détruits. Mais selon la loi
informatique et liberté, dès qu’il
existe une donnée à caractère
personnel vous concernant,
vous devez en être informé afin
de pouvoir exercer votre droit
d’accès, de modification et ou
de suppression. »
Les agents « mouches » de la
BSP ne sont pas les seuls à observer
une surveillance rapprochée
des conducteurs de bus.
Le Stif, Syndicat des transports
d’Ile-de-France, dispose également
d’une brigade de délateurs,
appelés les « voyageurs
mystères ». Grosso modo, le
principe reste le même, à un
détail près, mais d’importance,
l’identité des conducteurs n’est
pas révélée. Il serait question
de changer cette règle dans un
avenir proche, à savoir ne plus
respecter cet anonymat qui,
tout compte fait, semble très relatif
aux dires des syndicalistes.
« Avec le numéro de la ligne,
la date et le numéro du bus
c’est facile de savoir qui est le
machiniste visé. » Mais pour le principe, les syndicats livreront
tout de même bataille.
Autre variété de mouche, les
usagers bénévoles de l’Association
des usagers des transports
(AUT). Pour participer à
l’opération « témoin de ligne »
rien de plus simple, il suffit de
s’inscrire directement sur le site
et de se laisser aller. Car toute
bénévole qu’elle soit, la mouche
AUT, n’en est pas moins très
pointilleuse : « 2 mai. Bus n°X.
Le machiniste est en tenue
d’été (en polo). Les dispositions
à ce sujet ne stipulent-elles pas
que cette tenue n’est de rigueur
qu’à compter du 1er juin ? »
Régularité, accueil, comportement,
confort, propreté, etc.
Les récriminations des usagers
ne restent pas sans effets. Pour
preuve, cet extrait de réponse
de la direction de la RATP à
un bénévole mettant en cause
deux chauffeurs pour non prise
en compte du signal adressé
par un usager souhaitant monter
dans le bus : « Dès réception
de votre témoignage, j’ai
demandé au responsable de
la ligne d’identifier les deux
agents concernés et d’obtenir
des informations quant aux
faits relatés. »
Trois espèces de mouches,
donc, mais aussi des chefs de
lignes, des régulateurs satellites,
des bornes à infrarouge,
et des caméras de surveillance
(les bandes n’étant visionnées
qu’en cas de problème grave
de type accident ou agression).
La RATP a sorti l’artillerie
lourde. Bilan : 161 révocations
et 189 démissions en 2009.
« La pression est forte. Une des
jeunes filles que je suivais en
formation a préféré ne pas continuer
», confie Thierry Bonnet.
Objectif 2023
Excédé par ces pratiques et
directement mis en cause par
un rapport de mouche l’accusant
de fumer à son poste de
conduite (ce qu’il dément), Ali
Issaad a décidé de piéger la
RATP, en s’auto-accusant (sous
pseudo) via le site de l’AUT. Réponse
édifiante de la direction :
« Ce conducteur va faire l’objet
d’une attention et vigilance
particulière à l’avenir afin que
cette situation ne se reproduise
pas. » « Quand je leur ai dévoilé
le pot aux roses, ils sont restés
cois. Je voulais leur démontrer
le caractère infondé de certains
témoignages, remettre
en cause la bonne foi de l’usager
», explique Ali Issaad.
La leçon aura-t-elle porté ses
fruits ? Rien n’est moins sûr.
Pour Philippe Touzet, la direction
de la RATP aurait l’oeil rivé
sur 2023. « A cette date, le réseau
bus devrait entrer dans un
régime concurrentiel et fonctionner
comme une entreprise
privée. Ces méthodes managériales
sont un moyen d’éliminer
ceux qui sont improductifs, une
façon de nous mettre la pression…
Le grand débat actuellement
à la RATP, ce sont les
35 heures. Ils veulent nous
faire travailler plus. Ils tentent
de faire peur aux salariés pour
leur faire accepter des choses
qu’ils n’accepteraient pas autrement.
» La délation au service
du marché, le new-management
version RATP, ne semble
pas connaître de limite.
Visiblement mal à l’aise sur le
sujet, le service communication
de la RATP nie l’existence de
la BSP, affirmant que « ce service
n’existe plus depuis des
années ». De son côté, la direction
n’a pas souhaité s’exprimer. Silence radio. On
entendrait une mouche voler…
si je confirme qu’ils sont present et c’ette demande vient du chef des chauffeurs,appelé REL de la ligne 268 par exemple,
il remarque tous et n’importe quoi,le but c’est de faire tombe un chauffeur,ET pas un mais 5 agents appel la mouche ;
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