La croissance est-elle encore de gauche ?
Bien évidemment, la crise est au centre des programmes
d’Europe écologie-les Verts (EELV), du
Parti socialiste (PS) et du Front de gauche (FG).
Mais les enjeux écologiques, sociaux et démocratiques
font aujourd’hui davantage consensus
à gauche que celui de la croissance. Ainsi, le
PS aspire à « produire plus » mais « mieux »,
affichant une ambition, certes de compétitivité,
mais aussi de développement durable, écologique
et social. Pour le FG, la relégation de la
croissance au profit d’autres priorités est encore
plus nette : le mot est peu présent dans le programme,
qui met au contraire au centre de son
diagnostic un « problème politique » : constatant
que « la France est plus riche que jamais », le
FG se donne lui aussi pour objectif de « produire
autrement », mais de « partager les richesses »
plutôt que d’en produire davantage. Enfin, pour
sortir de la crise, EELV, veut « rompre avec le
"toujours plus" et la croissance à tout prix », et
prône une « mutation écologique et solidaire ».
Alors que le PS compte d’abord sur la croissance
(même si elle est « nouvelle ») « pour
créer des emplois », l’équation du chômage
apparaît plus difficile à résoudre pour les deux
autres formations politiques. EELV propose de
« créer des emplois, non en augmentant le PIB
mais en augmentant l’intensité en emplois de
notre économie ». Induisant une diminution de
la productivité par tête, cette solution revient à
partager différemment la valeur ajoutée : en permettant
à la part qui rémunère le travail salarié
d’y augmenter, au détriment de la part qui revient
au capital, et en partageant ces salaires entre
actifs occupés et chômeurs. La clé du problème
réside dans la réduction des écarts de salaires. En bons partis de gauche, chacun
mise aussi sur la RTT, qui crée des emplois
en partageant le travail : tous, sans exception,
promettent la suppression de l’incitation au
recours aux heures supplémentaires par la
défiscalisation ; le FG ajoute qu’il en limitera très
sévèrement l’usage pour revenir aux 35 heures
effectives, et procédera aux embauches correspondantes
dans la fonction publique ; De son
côté, EELV va plus loin et propose d’avancer
vers la semaine de 32 heures.
Dette et finance : comment faire face à la crise ?
Certes, il faut sortir de la crise de la dette et
transformer la finance. Pour tous un durcissement
de la réglementation, ainsi qu’une réforme
des traités européens et des statuts de la BCE,
permettant une monétisation de certaines
dépenses publiques, s’imposent. Consensus
également sur la réorientation des dépenses
publiques vers des objectifs écologiques et sociaux,
sur une réforme fiscale plus redistributive,
et sur une taxation des transactions financières
européennes. Dernier consensus : personne ne
propose de fermer la bourse. Dommage.
Pour EELV et le FG, la reprise du pouvoir sur la
finance passe par la création d’un pôle financier
public (le PS ne l’évoque pas). Mais le projet
du FG est plus celui d’une communalisation du
contrôle du crédit que d’une nationalisation.
Le traitement de la dette publique, en revanche,
est loin d’être consensuel. Les voies de sortie
de crise n’apportent pas la même réponse
à l’épineuse question : qui va payer ? Dans la
proposition du PS, en bout de course, ce sont
les contribuables, puisque le parti promet
d’affecter la moitié des fruits de la croissance
(les recettes fiscales supplémentaires générées
par la croissance) au désendettement.
Pour faire passer la pilule, il reprend la rhétorique
de « notre » culpabilité face aux « générations
à venir ». EELV, considérant au contraire
que la dette est d’abord un « transfert social
des pauvres vers les riches », propose de
la monétiser, et de l’annuler partiellement en
faisant porter le poids aux prêteurs. Le FG,
quant à lui, refuse « le dogme de la réduction
de la dépense publique », et appelle à des
moratoires et audits sous contrôle citoyen, en
vue de réaménagement, échelonnement et
annulation partielle.
Relocaliser l’économie : expression commune, objectifs variés
L’expression est récurrente dans les trois programmes
: il faut « relocaliser l’économie », soit
recentrer le développement du tissu économique
à l’échelle locale plutôt que nationale ou
mondiale : la « démondialisation » est dans l’air
du temps. Pour y parvenir, tous proposent peu
ou prou les mêmes chemins : priorité aux petites
entreprises et à l’économie sociale (lire ci-dessous)
soutenues par des aides fiscales, financières
et réglementaires ; lutte contre les délocalisations,
notamment par une harmonisation
sociale et fiscale en Union européenne ; lutte
contre la concurrence des pays émergents, en
imposant le respect de normes environnementales
et sociales à l’échelle européenne.
Les trois formations comptent aussi sur la mise
en synergie des acteurs locaux, mais c’est là
qu’apparaissent les divergences de points de
vue. Le PS reprend à son compte l’expression
de « pôle de compétitivité », quand le FG et
EELV lui préfèrent celle de « pôle de coopération
». Juste une question de mot ? Pas si sûr.
Derrière le vocable commun « relocalisation de
l’économie » se cachent des préoccupations
assez différentes. L’enjeu prioritaire du PS est
celui de la compétitivité nationale, et son soutien
aux PME se centre sur les secteurs de pointe
tels les biotechnologies et l’économie numérique.
Au fond, et le projet ne s’en cache pas,
la formation socialiste lorgne sur le « modèle
Allemand ». EELV, sensible à l’argument des
« secteurs porteurs » insiste plutôt sur les enjeux
écologiques de cette relocalisation : développer
l’agriculture biologique, les activités de dépollution,
d’isolation ou encore de recyclage, créateurs
d’emplois écologiques de proximité, et de
réduction de la facture carbone. Le FG, enfin,
fustige « le modèle d’économie de services que
nous assigne la division internationale du travail
pilotée par les marchés financiers » qui aboutit
au fait « absurde » que « la totalité du paracétamol
dans le monde est produite en Chine ».
Il se soucie de « souveraineté alimentaire » et
industrielle, et ambitionne de « reconstruire un
tissu industriel diversifié », et pas seulement
« de pointe ».
La gauche séduite par l’Économie Sociale et Solidaire
La crise a consacré l’inclination de la gauche
pour l’économie sociale et solidaire, qui recouvre
toutes les formes de propriété et d’activités
alternatives à celles de la grande entreprise
capitaliste. Le PS veut ainsi redynamiser le
« mouvement associatif et à but non lucratif » en
lui offrant de bénéficier des 300 000 « contrats
d’avenir » (sorte d’emplois jeunes) qu’il entend
créer. De même, EELV souhaite que « l’économie
plurielle » (les services publics, mutuelles,
coopératives et associations) bénéficie d’une
loi cadre permettant son développement, et de
financements importants. Enfin, le FG garantit lui
aussi un puissant soutien à ces « autres formes
de propriété » ; son originalité : la promesse d’un
appui aux « initiatives d’habitat autogéré et coopératif
», dans le cadre de « programmes de
création de logements sociaux ».
Infléchir le partage de la Valeur ajoutée : plus ou moins
Il est désormais acquis à gauche que les problèmes
du chômage, du pouvoir d’achat et
des inégalités de revenus renvoient à celui
du partage de la valeur ajoutée (VA), qui s’est
considérablement déséquilibré ces dernières
décennies au profit du capital et au détriment
du travail. Tout le monde est d’accord pour
redresser la barre. Mais certains plus d’autres.
Si la réinstauration de la progressivité de la fiscalité
ne fait pas débat, seuls EELV et le FG
envisagent une redistribution aux plus démunis
par un relèvement des minima sociaux. Les trois
formations s’engagent à « revaloriser le SMIC »
– le FG affiche 1 700 euros brut – mais seuls
EELV et le FG étendent cette revalorisation
aux bas salaires et aux minima sociaux, que le
FG propose par ailleurs d’indexer au « coût de
la vie ». Tous souhaitent limiter les écarts de
rémunération, mais les méthodes diffèrent : Le
PS s’en tient à limiter l’écart de 1 à 20 dans
les entreprises publiques, et confie le sort des
autres salariés aux décisions des assemblées
générales d’actionnaires, et aux propositions
d’une « conférence salariale annuelle tripartite
». Pour EELV le rééquilibrage est imposé
par les deux bouts : par la fixation d’un taux
d’imposition sur le revenu de 80 % au-delà de
44 000 euros par mois, et l’instauration d’un
revenu « universel, inconditionnel et individuel,
cumulable avec un salaire ». Le FG quant à lui,
cumule les deux méthodes, et les radicalise : il
limite les écarts de rémunération de 1 à 20 dans
toutes les entreprises, s’engage à ce qu’aucun
revenu ne soit inférieur à 800 euros par mois,
et fixe le revenu maximum à 30 000 euros par
mois. Le programme ne le dit pas explicitement,
mais on suppose qu’au-delà de ce plafond,
le taux d’imposition sur le revenu serait
donc porté à 100 %.
Un clivage central apparaît enfin à propos du
financement des retraites. EELV et le PS se
retrouvent sur un projet de fiscalisation (c’est-à-dire un basculement des cotisations sociales
vers l’impôt), par une taxation des revenus du
capital pour EELV, et via le transfert de l’assiette
des cotisations de la masse salariale vers la valeur
ajoutée pour le PS. Le FG, au contraire, refuse
cette fiscalisation et promet même de supprimer
les exonérations de cotisations sociales
actuelles. Ce choix se répercute sur le partage
de la VA : les cotisations sociales assises sur la
masse salariale sont une rémunération du travail
– certes de manière indirecte –, et leur remplacement
par un impôt a pour effet de réduire la
part du travail dans la VA. Financer les retraites
par un impôt sur le capital peut apparaître anticapitaliste,
mais retire en réalité à la cotisation
sociale son pouvoir de subversion du capitalisme,
lié à sa capacité de grignotage de la VA
au profit du travail et au détriment du capital. De
ce point de vue, la position du FG qui consiste
à créer des cotisations sociales sur les profits
(basculant donc une partie de la rémunération
du capital vers celle du travail) apparaît économiquement
révolutionnaire, quand EELV et le
PS semblent convertis au réformisme.