Les séries télés tiennent aujourd’hui le
haut du pavé dans le champ télévisuel et
dans la culture de masse. Le seuil qualitatif
qu’elles ont indéniablement franchi au tournant
des années 2000 leur a offert une situation
singulière, inspirant à la fois passion populaire
et engouement intellectuel. Les sociétés, et
pas seulement occidentales, se contemplent
et s’interrogent de plus en plus à travers ces
fictions qui reflètent les grandes peurs et espérances
des peuples. La diversité
des formats et des thématiques
a dans le même temps accompagné
la multiplicité de leurs vocations
(sitcoms grand public, style
« How I Met Your Mother », niches
SF comme « Walking Dead »,
etc.). Elles servent désormais de
plus petit dénominateur commun
culturel entre les populations et
leurs élites, bien davantage que la
musique ou la littérature. Un penseur
de la radicalité peut défendre
« Mad Men » ou « The Wire », tout
comme un homme politique de droite parlera
longuement de « Desperate Housewifes », et
tout le monde comprendra à peu près de quoi il
s’agit. Toutefois, cette place de choix a un prix.
Au coeur de culture mainstream, les cycles de
vie ne se révèlent pas simples à gérer. La deuxième
saison, une fois passé le choc du buzz
(« Heroes » ne s’en est jamais remis), constitue
une étape douloureuse, souvent meurtrière. Tout
aussi déterminante, la quatrième année, avec le
risque non plus de périr, mais de s’étioler dans
le destin confortable d’ « Urgences ». Bref, la
tentation, pour survivre, de perdre le supplément
d’âme distinctif et de rejoindre ainsi la cohorte
de la bien-pensance du petit écran, aux côtés de
« Les experts » ou de « NCIS ».
Donc, les séries télé meurent ou, parfois,
vieillissent mal, car très peu pensent à leur fin
(contrairement aux cas exceptionnels de « West
Wing » ou « Oz »), d’où de pathétiques derniers
épisodes bâclés. Enfin, reste à se mettre
d’accord sur les symptômes, entre lassitude et
surabondance de l’offre. Prenons
le cas de « Dr House ». Variante
misanthrope de la veine hospitalière,
généralement gavée d’humanisme
niais, les aventures de ce
médecin génial et acariâtre détonaient
dans l’univers habituel des
héros de ce type de production :
athée convaincu, égoïste comblé,
observateur sans pitié des classes
moyennes et, surtout, drogué
assumé. La sixième saison commençait
avec sa « détox » (deux
épisodes très réussis), qui ne lui
apportait pas le bonheur et ne faisait pas disparaître
ses souffrances physiques. Pourtant, ni les
audiences ni les critiques ne sont plus au rendez-
vous. Rien n’a vraiment changé, et la qualité
n’a pas baissé. Car, malgré toutes les louange,
la série télé ne reste qu’un produit politiquement
acceptable « pour cerveau disponible », à l’heure
du capitalisme « accéléré ».