Les quartiers populaires
ont faim… de politique.
Ils veulent exister, non pas
comme objets mais comme
sujets politiques si l’on en
juge au nombre d’initiatives
et de propositions qui se font
entendre ces derniers temps.
Dans l’ordre d’émergence, il y a
le « Forum social des quartiers
populaires » (FSQP) organisé
par des associations engagées
depuis longtemps telles que le
MIB ou les Motivé(e)s. L’appel
« Nous ne marcherons plus » à
l’initiative de Nassurdine Haidari
un élu PS de Marseille. « Le rencard de l’égalité » de la Fédération
nationale de la maison
des potes, émanation de SOS
racisme, et « Le printemps des
quartiers populaires » impulsé
par le PIR (Parti des Indigènes
de la République), etc.
Tous veulent voir la question
des quartiers populaires sortir
de l’ombre, et nombreuses sont
les stratégies pour y parvenir.
Nous les classerons dans deux
catégories. D’un côté, il y a ceux
qui croient encore à la jonction
avec les partis traditionnels et
font des propositions pour améliorer
la situation des quartiers
(où le taux de chômage est deux
à trois fois plus important) et
réparer les injustices sociales.
Le « rencard » a interpellé en
décembre dernier les candidats
à l’élection présidentielle en faisant
dix propositions (régularisation
des travailleurs sans-papiers,
formation professionnelle
des lycéens, doublement de
l’aide juridictionnelle, aides aux
femmes victimes de violence,
30 % de professeurs en plus
dans les ZEP…). Plus proche
encore des partis, l’Appel de
Marseille, porté par un élu PS,
en lien avec des élus d’EELV –
notamment de l’euro-députée
Karima Delli – et du Front de
gauche, a présenté cinq propositions
(voir encadré) pour sensibiliser
leurs partis respectifs.
Si l’accueil a été « favorable » au
Front de gauche et à EELV, la
réponse de François Hollande se fait encore attendre…
Et puis, de l’autre côté, il y a
les autonomes, ceux qui ne
veulent pas trop se frotter aux
appareils politiques, et n’appelleront
pas, par exemple, à
voter aux prochaines élections.
Salah Amokrane, des Motivé
(es) et membre actif du FSQP
l’explique par une raison simple :
« Tous les partis politiques se
désintéressent de nous aujourd’hui.
» (lire l’interview) Dans
ce groupe, certains vouent
même une franche animosité à
l’égard des partis d’élus, comme
les Indigènes de la République :
« La gauche ne sait rien faire
d’autres que d’instrumentaliser
les quartiers pour mieux tuer
dans l’oeuf les initiatives populaires
», résume Youssef Boussoumah.
Un discours qui se fait
entendre et qui peut fédérer de
nombreux mécontents de l’offre
politique. La première rencontre
du « Printemps des quartiers
populaires » qui s’est tenu à
Bagnolet, le 8 décembre, a fait
salle comble. Il faut dire qu’il y
avait une star, Tariq Ramadan,
mais aussi le collectif Stop au
contrôle au faciès, Omar Slaouti
du NPA, « Mamans toutes
égales », qui se battent contre
l’exclusion des mères voilées de
l’école… « On n’appellera pas à
voter, explique Alain Gresh, du
Monde diplomatique, soutien du
Printemps mais aussi du FSQP.
D’une part, parce que c’est trop
tôt, nous ne pesons pas grand chose
et que nous n’avons
aucun intérêt à nous rapprocher
des partis car ils ne nous
prendraient pas au sérieux… Je
ne suis pas contre la “ récupération”
mais si c’est juste pour
se faire bouffer les acteurs
qui émergent sans prendre
en compte nos idées, là, c’est
non ! »
La trouille
La stratégie des autonomes ne
manque pas, en effet, d’arguments.
Jusqu’à présent, les
candidats ne répondent pas aux
invitations et les plus proches
sont évasifs. Eva joly a décommandé
à la dernière minute
« Le rencard pour l’égalité », et
Jean-Luc Mélenchon a envoyé
une petite vidéo où il ne parle
que des travailleurs sans-papiers…
Comme si les quartiers
populaires demeuraient encore
aujourd’hui un sujet à part, des
territoires de l’ailleurs, indéfinis,
voire impénétrables. En période
de compétition politique ce désintérêt
pose question. Serait-ce
tout simplement parce que
ces quartiers sont des « déserts
électoraux » ? « Non, ça dépend
des élections, assure Eros
Sana, chargé des quartiers à
EELV. À la dernière élection
présidentielle, les quartiers
populaires ont voté. En fait, la
participation dépend de l’élection
et de l’enjeu que cela représente
pour eux. »
À moins que ce ne soit tout simplement
la trouille. « J’ai dû mal
à convaincre notre candidat d’y
aller, avoue (anonymement) un
membre d’une équipe de campagne.
Plusieurs personnes de
l’équipe ont peur que ça dérape
et que ces images ruinent notre
campagne. » Les crachats sur
Chirac à Mantes-la-Jolie en
2002, alors qu’il faisait campagne
sur « l’impunité zéro »
pour les petits délinquants.
Les pierres envoyées sur Sarkozy
lors de sa visite nocturne à
Argenteuil en 2005, ont visiblement
traumatisé les candidats
de gauche. « Je n’arrive
pas encore à faire comprendre
que ces violences ne sont pas
gratuites, poursuit notre témoin
anonyme. Sarko c’était après
sa déclaration à la Courneuve
sur le nettoyage au kärcher et
Chirac, c’était lié à son personnage
de « Supermenteur » qui
passait à la télé. » Pas gratuit
en effet, d’autant plus que ces
images chocs étaient savamment
calculées, elles ont d’ailleurs
servi de tremplin aux candidats,
alors drapés de l’étoffe
de super-héros.
Les habitants des quartiers
veulent être traités avec respect.
La vidéo projetée pendant
le « Printemps des quartiers populaires
», à Bagnolet, témoigne
leur volonté de s’engager. On
y voit une habitante d’un des
quartiers nord de Marseille, en
pleine rénovation, raconter une
mobilisation collective de plusieurs
mois pour faire installer
un feu rouge – ayant abouti
par l’installation provisoire d’un
feu. Et après ce témoignage, un
homme, casquette et cheveux
blancs, a récité un long poème
sur le parcours d’un citoyen du
monde révolutionnaire, incitant
la jeunesse à s’engager dans
la vie. Des voix que la salle, des
jeunes principalement, a écouté
avec attention. Reste à savoir
si un(e) candidat(e) pourra
les saisir ?