//« La poésie est parce que l’homme n’est pas Dieu et c’est ce que l’homme/supporte le moins. »// Il y a vingt-sept ans, Tomaz Salamun pensait ainsi la poésie. Celle qui rend l’homme l’égal de Dieu... Raccourci sensuel entre ciel et terre, semé de ses propres figures tutélaires.
Naître en 1941 à l’embouchure de deux mondes, grandir à la frontière de plusieurs langues, quelque part entre Trieste et Istrie, à Koper, vivre, enfin, toutes les aventures de cette « Europe centrale, lieux terribles, sentimentaux/catastrophe totale » ... Etre Tomaz Salamun. Peintre conceptuel, historien de l’art en Yougoslavie quand la Slovénie en faisait partie, universitaire en mission à Iowa City : est-il influencé par cette école des poètes de New York, la « poétique du langage » ? : traducteur, enseignant dans une école de campagne et vendeur dans son pays, attaché culturel de l’ambassade slovène à New York...
Dans sa préface étonnante à ce livre, Jacques Roubaud raconte Tomaz Salamun dans 101 vers. Chacun commence par le nom du poète et reprend un syntagme, un fragment de sens de plusieurs poèmes. Un retour éternel du poème sur lui-même : il est ce qu’il est.
Tomaz Salamun intègre ce sens secret d’un monde poétique sans limites, sensuel et cérébral, naïf et érudit, abscons et explicite, quotidien et céleste, naturel et artificiel. Traversé par toute la culture de l’humanité : les petits pays ont cet avantage-là : et libre en même temps. On le suit dans ses topographies fumantes, « loin de la forêt, sur les épicéas, des rubans colorés./Les épicéas sont enneigés, mais aucune luge » ; on s’accroche à ses règnes animaux fabuleux, à ses végétaux
obsessionnels, à ses itinéraires mystérieux, « Tomaz Salamun est un monstre./Tomaz Salamun est un boulet roulant dans les airs. Personne ne connaît son orbite » ...
« Je donne des coups de tête aux anges,/ en pleine bouche, et je les tue et je les enfante, car j’écris. » Il reste insaisissable, car la parole lui appartient et il joue avec, ivre de ses rythmes, il se descend, il se tue, il nous regarde de la hauteur de sa tâche de Poète, de son « temps vertical » . Révolté contre sa « tribu » qui a oublié le goût de la liberté, mais amoureux perpétuel, Tomaz Salamun a le don du partage. Sa parole, qui est son corps, sa vie, il nous l’offre dans un acte de grâce, de générosité qui fait l’âme de ce livre : « J’espère tenir le coup,/ pouvoir éternellement rendre tout cet amour. »
Tomaz Salamun , Poèmes choisis , présentation par Robert Hass, préface de Jacques Roubaud, traduits du slovène par Mireille Robin et Zdenka Stimac, avec l’auteur.