Accueil > Résistances | Par Alicia Bourabaâ, Sabrina Kassa | 24 avril 2012

Louis-Georges Tin : « Le vote obligatoire, c’est la République »

Militant noir, militant homosexuel, président du Conseil représentatif
des associations noires de France (CRAN) et coordonnateur du
Pacte pour l’égalité et la diversité… Louis-Georges Tin entend bien
peser sur la campagne présidentielle. Grand entretien.

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Regards.fr : Vous avez publié le 8 février
dernier, le Pacte pour l’égalité
et la diversité, annoncé
des rencontres avec des
candidats. Puis, plus rien.
Pourquoi ne pas avoir suivi la stratégie
de mobilisation des autres associations
en attirant l’attention sur des revendications
par « des coups médiatiques » ou en
investissant le terrain ?

Louis-Georges Tin : Notre Pacte a fait la Une de Libération, et a été
présenté à la télévision dans plusieurs émissions.
Nous avons lancé nos propositions et
écrit aux candidats. Les réponses sont en train
d’arriver progressivement. Une fois le second
tour passé, nous entamerons le travail de surveillance
citoyenne en instaurant dès 2013 un
« Sarkomètre » ou un « Hollandomètre » pour
mesurer la mise en œuvre de leurs annonces.
Pour le moment, nous exigeons des candidats
qu’ils déclarent ce sur quoi ils s’engagent.

Regards.fr : Vous instaurez un rapport de force en
interne avec les politiques ?

Louis-Georges Tin : Pas nécessairement. Treize associations se
sont jointes pour constituer le Pacte, plus
d’une quarantaine s’y sont associées et
d’autres nous contactent. Cela va du Planning
familial à l’Association des paralysés de
France, en passant par le CRAN, le Comité
IDAHO, Animafac, Terra Nova ou la Charte de
la diversité. Nous avons institué la solidarité
comme méthode et comme éthique. C’est sur
ce fondement que se base le rapport de force
avec les institutions. Si les candidats, une fois
élus, négligent tel ou tel aspect de nos revendications,
ce sont toutes les associations réunies
autour du Pacte qui feront front commun.

Regards.fr : De nombreuses initiatives associatives
ont été lancées durant la campagne
pour interpeller les candidats,
avec parfois des revendications et
des acteurs semblables. Ne craigniez-vous
pas un manque d’efficacité,
une confusion ?

Louis-Georges Tin : On peut avoir l’impression d’un joyeux désordre,
mais au fond cela traduit un certain
dynamisme. Cela dit notre appel se distingue
parce qu’il regroupe l’ensemble des discriminations,
alors que les autres sont monothématiques.
Je trouve que nous avons accompli un
pas important vers la coordination et l’unité.
C’est une initiative inédite et transversale.

Regards.fr : La démarche est transversale mais les
revendications le sont-elles aussi ?

Louis-Georges Tin : Nous avons des propositions spécifiques, ainsi
que de nombreuses propositions transversales,
notamment celle en faveur d’un ministère de
l’Égalité et de la diversité. Nous militons aussi
pour les recours collectifs, sur le modèle des
« class action ». En France, si les discriminations
sont bien souvent collectives, on ne peut porter
plainte que de manière individuelle. Une femme
qui voudrait prouver l’inégalité salariale dans son
entreprise et porter plainte, alors que le phénomène
qui la touche est collectif, se retrouverait
seule face à son entreprise. Le combat est inégal.
Les « class action » rééquilibreraient le rapport de
force judiciaire : des centaines de personnes pourraient
porter plainte ensemble, se payer de meilleurs
avocats, peser davantage dans le procès.

Regards.fr : Vous avez pris la tête du CRAN en novembre
2011. Avez-vous mis en place une
stratégie différente de celle de votre prédécesseur,
Patrick Lozès ?

Louis-Georges Tin : J’ai impulsé deux grandes nouvelles orientations
 : l’ancrage social et l’ouverture. L’ouverture,
c’est par exemple, la démarche initiée avec le
Pacte. Mais le CRAN se doit aussi de s’ancrer
davantage dans l’espace national, et notamment
dans les banlieues.

Regards.fr : Et concernant l’ancrage social…

Louis-Georges Tin : C’est l’autre point. Depuis la création du CRAN,
nous avons fait avancer les choses, surtout les
trois premières années, mais l’ancrage social
nous a manqué. J’ai proposé que nous ayons
un programme fort en ce sens, avec notamment
la création d’une Agence de notation citoyenne.
Cela donne ANC, ce qui rappelle de bons
souvenirs… Pour rééquilibrer les pouvoirs des
agences de notation qui dominent le monde,
nous proposons la création d’agences alternatives,
animées par des experts citoyens, fondées
sur l’éthique et non sur les valeurs financières.

Regards.fr : Quels seront les critères utilisés par ces
agences de notation citoyennes ?

Louis-Georges Tin : Nous avons élaboré un questionnaire qui permet
de mesurer la contribution des 50 plus
grandes villes de France à la lutte contre le
racisme et ce, dans le domaine de l’éducation,
de l’emploi, de l’économie, de la culture,
etc. Ce questionnaire est envoyé à la fois aux
élus et aux associations locales, ce qui nous
permettra, à terme, de confronter les points
de vue. Au total, nous pourrons ainsi classer
les villes de France.

Regards.fr : N’y a-t-il a pas un risque de stigmatiser
exclusivement les municipalités
de gauche, qui abritent davantage
les populations étrangères ou
d’origine immigrée ?

Louis-Georges Tin : Non, je ne vois pas pourquoi il y aurait un
risque. Notre objectif, c’est de classer les
villes, et de redonner aux citoyens le pouvoir
dont ils se croyaient dépossédés. Nous
voulons coordonner ces voix, leur donner
une forme et être une caisse de résonance.
Au fond, les maires pensent que la sanction
n’existe qu’au moment du vote et que de toute
façon les gens s’abstiennent, surtout les plus
pauvres. Nous disons aux gens : « N’attendez
pas six ans, sanctionnez dès maintenant !
 »

Regards.fr : D’où parlez-vous ?

Louis-Georges Tin : Je suis Martiniquais, militant homosexuel et militant
noir…

Regards.fr : Pour quelles raisons avez-vous débuté
votre parcours de militant par la lutte
contre l’homophobie ?

Louis-Georges Tin : Je viens de la Martinique, j’y ai vécu jusqu’à
l’âge de 17 ans et je suis conscient d’être homosexuel
depuis l’âge de 10 ans environ. Au
départ, je me suis davantage engagé contre
l’homophobie que contre le racisme car en
Martinique l’antiracisme était une valeur partagée.
Pas l’anti-homophobie. C’est pour cette
raison que je me suis engagé. Non pas que
je me sente plus homosexuel que noir, mais
parce qu’en Martinique je me sentais plus victime
d’homophobie que de racisme. Je suis
venu à Paris en 1991, j’ai fait mes études à
Henri IV puis à l’ENS, j’ai fait une thèse de
Lettres. Parallèlement j’ai dirigé le dictionnaire
de l’homophobie qui a été publié au PUF en
2003 et j’ai lancé la Journée mondiale contre
l’homophobie et la transphobie en mai 2005.
Et c’est aussi en 2005 que j’ai fondé le CRAN
avec Patrick Lozes.

Regards.fr : Pensez-vous réellement que le vote obligatoire
permette le renouvellement des
idées et de la classe politique ?

Louis-Georges Tin : Cela étonne souvent que ce soit le CRAN
qui porte cette idée et je m’en réjouis. Nous
sommes de fait dans une démocratie de plus en
plus censitaire puisque ce sont les pauvres qui
s’abstiennent le plus. Pourquoi ? Parce qu’ils
estiment que les politiques s’intéressent peu à
eux. Mais pourquoi les politiques s’intéressent
moins aux pauvres ? Parce qu’ils estiment
qu’ils votent moins que les autres. Pour briser
ce cercle, je propose que l’on mette en place le
vote obligatoire afin d’élargir le vote et l’assiette
électorale. Cela existe en Grèce, en Belgique,
au Brésil, en Bolivie, dans quantité de pays
démocratiques. Le vote obligatoire c’est un peu
comme l’école obligatoire, c’est la République !

Regards.fr : Si les gens ne votent pas, c’est peut-être
à l’offre politique de s’adapter et
non l’inverse ?

Louis-Georges Tin : Pour les législatives, l’abstention a augmenté
de vingt points en deux décennies et elle a des
conséquences désastreuses. Elle a fait le lit de la
droite ultralibérale. Car à qui profite l’abstention,
sinon aux plus favorisés ? C’est grâce à elle que
la droite sociale a été balayée par la droite bling-bling,
amie des milliardaires, et que la gauche
s’est désintéressée de la question sociale. Si les
personnes les plus défavorisées votaient, les politiques
seraient obligés de tenir compte de leurs
préoccupations. C’est ça la ruse ! Le vote obligatoire
fait davantage pression sur les élus que
sur les électeurs. Cette question n’a pas reçu un
accueil très favorable dans les partis : François
Bayrou a dit non, les autres n’ont pas répondu
du tout. Je constate juste que les Français, eux,
y sont favorables. Le sondage que nous avons
fait avec la Sofres démontre que 57 % des Français,
à gauche comme à droite, sont favorables
à cette mesure.

A lire

Dictionnaire de l’homophobie

(dir) Louis-Georges Tin

éd. Puf, 451 p., 49 €

Le Pacte pour l’égalité et la
diversité

(dir) Louis-Georges Tin

éd. Autrement, 100 p., 12 €

L’invention de la culture
hétérosexuelle

de Louis-Georges Tin

éd. Autrement, 201 p., 20 €

Portfolio

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