Imaginer Florimond Guimard s’acharner contre un policier est un exercice difficile. « Pour les gens qui me connaissent, ça porte à sourire ! », ironise-t-il. Fin 2006, Florimond avait participé à une action contre l’expulsion d’un père algérien à l’aéroport de Marseille. Dans l’agitation, sa voiture aurait bousculé une barrière qui aurait tordu le pouce d’un policier. On l’a accusé de « violence aggravée sur un agent ». « De la politique d’intimidation ! », lance-t-il.
Florimond, 32 ans, n’est pas du genre gros bras. Intello, il porte des lunettes rondes et tient des discours pacifistes : il est persuadé que mieux vaut trouver des stratégies d’élargissement de la lutte pour rassembler, plutôt que d’adopter des méthodes radicales au risque de diviser. « Tout faire péter ? Une impasse ! »
Le tribunal d’Aix a fini par cerner son profil et l’a relaxé le 21 décembre. Soulagement. Florimond encourait jusqu’à trois ans de prison, 45 000 euros d’amende, un casier judiciaire entravant l’exercice de son métier. « C’est signe que la justice remet les politiques à leur juste mesure », se satisfait-il.
Il avait peu hésité : « Fallait-il garder profil bas ou organiser une défense ? » En 2007, il n’a fait que « préparer le procès, rencontrer les témoins, discuter avec les organisations, parler au micro... C’est difficile quand il s’agit de son propre cas ! » Florimond s’excuse de s’être mis en avant.
La campagne est un succès. « Beaucoup de gens nous ont rejoints, syndicats, collectifs... » Chaque fois que l’instituteur passe au tribunal, la moitié de ses collègues se partage les élèves, l’autre manifeste devant le palais de justice avec des milliers de protestataires. « Certes, des souffrances psychologiques, mais des rencontres, des prises de tête aussi. J’ai tant appris ! »
En 2007, il a mis sa vie privée de côté. Malgré la naissance de son enfant, en avril. Quelle ironie du sort pour lui qui exerçait auparavant à Paris et avait demandé une mutation dans le Sud dans l’idée de calmer ses ardeurs militantes ! « On est rattrapé par ce qu’on est ! »
A Paris, ses journées étaient trop courtes : d’abord son activité syndicale à la commission du Snuipp, la branche écoles primaires de la FSU. Puis, le soutien aux sans-papiers, aux mal-logés, aux précaires. « Ces problématiques faisaient partie de la vie de mon école, de mon quartier. » Et pour cause, en sortant de l’IUFM, il avait demandé un poste en ZEP, à la Goutte d’or. Accordé !
« Petit bourgeois, fils d’un ingénieur et d’une mère au foyer », a-t-il eu une enfance trop paisible ? « Une famille sans difficultés. » Il précise : « Je me suis émancipé assez vite pour me confronter à d’autres environnements. »
Il n’ose pas le mot « vocation », mais il semble bien l’avoir. Dès le lycée, il pense devenir « instit ». Il regarde l’école comme un lieu de travail sans patron où l’enseignant reste assez libre. Avec l’expérience, il la perçoit comme le lieu de convergence de ses engagements. « L’école publique, c’est le lien social du quartier, un espace où construire les solidarités. »
A Marseille aussi, c’est selon cette vision qu’il exerce. Travaillant plus, sans gagner plus. Parce qu’il reçoit les parents après la classe. Une mère vient lui parler de son plafond prêt à s’écrouler. Et les problématiques sociales rentrent dans sa classe au cœur d’un quartier populaire, au pied de la gare Saint-Charles. Encore un combat.
Avec Florimond, les mots « militant » et « enseignant » se mélangent. Ses élèves lui amenaient des coupures de presse sur son procès. « Maître, c’est vrai que vous avez tapé un flic ? » Florimond s’expliquait moins qu’il lançait un débat. Au tableau, est écrit : « les valeurs de la République », cours d’éducation civique. Il aime faire parler de liberté, d’égalité, de fraternité. Il s’est battu pour que ces mots soient replacardés à l’entrée d’une école. Les collègues disaient : « A quoi bon ? ça va être tagué ! » Il déplore que l’on puisse baisser les bras.
« Face au manque d’optiques politiques, les gens se démobilisent ! » Ça l’énerve. Les enseignants en ont marre de réclamer de l’argent qui n’arrive pas. Les militants de RESF se demandent comment prouver plus que ce qu’ils ont déjà prouvé ? « Occuper des tarmacs. Etre plus inventif. Mais pour aller où ? »
Florimond en veut au PS, « pas à la hauteur des attentes, malgré les perches tendues pour se démarquer de la droite ». Il faut trouver des débouchés politiques. « Sinon, on n’arrivera pas à suivre le rythme de Sarkozy. Moi le premier : je ne veux pas foutre ma vie familiale en l’air ! »
Il rêvait d’avoir enfin le temps de lire un roman. Loupé ! Proche de la LCR, il entend contribuer à la nouvelle force antilibérale annoncée. Son nom sera sur une liste municipale rassemblant la gauche de gauche. Il va tâter le terrain politique. Encore rattrapé par ce qu’il est. Cécile Raimbeau
Regards n°48, Février 2008