Marie-Monique Robin accueille
le visiteur dans son pavillon de
Seine-Saint-Denis. Elle sourit,
tente de ne pas laisser paraître
l’ennui que provoque l’inévitable « promo » quand
il s’agit de rendre son manuscrit trois jours plus
tard. Elle doit livrer Notre poison quotidien, l’ouvrage
qui accompagne la diffusion du film éponyme,
le 15 mars sur Arte.
C’est la fin d’un marathon. Une enquête longue
de deux ans, une centaine de livres lus, des quintaux
de documents patiemment recueillis et une
douzaine de pays parcourus à la recherche
d’une réponse. Qu’y a-t-il vraiment
dans nos assiettes ? L’industrie
agroalimentaire se contenterait d’une
réponse : « Ne vous inquiétez pas, on
s’occupe de tout, tout va bien. »
Pas exactement la vision de Marie-
Monique Robin, journaliste
pugnace, lauréate du prix Albert
Londres, déjà auteure, du
très remarqué Le monde selon
Monsanto. Elle s’attaquait alors,
rien de moins, au seigneur du
génie génétique, de l’herbicide
et du brevetage du vivant dans une enquête exceptionnelle.
Notre poison quotidien n’est pas la
suite, mais une continuité. « Je suis ressortie de
ce boulot en me posant des questions simples,
expose la journaliste. Est-ce que le comportement
de Monsanto est une exception dans
l’histoire industrielle ? Comment sont réglementées
les 100 000 molécules chimiques qui ont
envahi notre environnement depuis la fin de la
seconde guerre mondiale ? Y-a-t il un lien entre
l’exposition à ces produits chimiques et “l’épidémie
de maladies chroniques évitables” que
l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a
constatée ? »
Le pire est devant nous
Le constat, sous forme de réponses à ces questions,
est dramatique. Avec la précision d’une
montre suisse et l’insistance d’un marteau-
piqueur, elle rencontre et interroge
les acteurs du système de réglementation,
croisant les témoignages,
les études, les décisions de l’OMS,
mettant interlocuteurs et institutions
face à leurs contradictions. « Nous
sommes dans une société du
risque où nous acceptons des
effets collatéraux colossaux au
nom du progrès », analyse Marie-
Monique Robin. L’OMS reconnaît
une augmentation sans
précédent du nombre de cancers
dans les « pays développés » et la qualifie
« d’épidémie ». Pour la journaliste, impossible, au
regard des pièces qu’elle a rassemblées de ne
pas voir dans les produits chimiques présents
dans nos assiettes la clé de cette explosion. Et
encore, selon elle, le pire est devant nous.
Les instances de réglementations ? De la montagne
de documents épluchés, elle tire un enseignement
majeur et très inquiétant : la littérature
scientifique est polluée par des études faites sur
mesure pour l’industrie.
Morts prématurées
Notre poison quotidien permet aussi de rencontrer
des agriculteurs atteints de maladies graves.
Une profession en première ligne que Marie-
Monique Robin connaît bien. « Mes parents
étaient agriculteurs, mais aussi militants, issus
des jeunesses agricoles catholiques. » La JAC,
a pris part à la « révolution verte », ambitionnant
de nourrir le pays après la guerre, d’augmenter
la productivité… Mais aussi d’organiser les
agriculteurs en coopératives. Ce que feront les
parents de Marie-Monique Robin.
« Sur les cinq agriculteurs de la coopérative,
deux sont morts prématurément, livre-t-elle,
cancer du foi et pneumonie foudroyante, caractéristique
dans les deux cas d’une exposition
aux produits chimiques. J’ai un oncle qui a un
cancer de la prostate, un autre de la peau, un
cousin céréalier qui a la maladie de Parkinson
à 48 ans. » De quoi nourrir, une envie d’en découdre
sérieusement. « Je fais ce métier pour
changer le monde, lâche-t-elle sans ambages,
même si ce n’est pas une conception très à
la mode du métier. Si je n’avais espoir qu’un
tel document puisse inverser la donne, je ne
le ferais pas. » Elle rentre à peine d’Argentine,
où elle a témoigné dans un procès contre les
militaires de la dictature qu’elle a « contribué à
relancer », dit-elle modestement, en livrant dans
son enquête Les escadrons de la mort : l’école
française (2003), les témoignages de généraux
argentins.