par Olivier Gasson
Et si le Medef durcissait sa droite ? C’est le risque inattendu qui plane sur la succession d’Ernest-Antoine Seillière, qui doit quitter la présidence de l’organisation patronale d’ici à la rentrée scolaire. Incroyable, mais vrai ! Louis Schweitzer, qui deviendra président du Medef international en juin et que « EAS » aurait bien vu comme son successeur, s’est un jour penché vers le patron des patrons : « Finalement, il n’y a qu’un seul homme du conseil exécutif (sorte de gouvernement du Medef, composé de 45 membres, NDLR) plus à gauche que vous ! » Sous-entendu : il n’y a que moi. « EAS », considéré comme un quasi-homme-de-gauche par les siens, qui l’eût cru ? On se rappelle, il est vrai, dans un meeting de l’organisation patronale, en novembre 1999, un Eduardo Malone, PDG d’origine argentine du groupe de textile Chargeurs, oser un parallèle malheureux, pour assumer son ultralibéralisme : « J’ai survécu à deux dictatures, celle des militaires, dans ma jeunesse, et celle des idéologues soviéto-bureaucratiques, depuis mon arrivée en France ! » Et, au cours de la même réunion, l’ovation d’Alain Sionneau, aujourd’hui vice-président du Medef, pour avoir vilipendé une « France d’assistés, de protégés et de dormeurs ». L’ambiance est ainsi dans les hautes instances du patronat français.
tests des nouveaux patrons
Si « EAS » n’a jamais fait non plus dans la dentelle (1), la liste des favoris pour lui succéder n’est pas rassurante. Le petit patron Yvon Jacob, d’abord. C’est aujourd’hui le leader de la fédération patronale de la mécanique. Son attachée de presse est l’épouse du journaliste Daniel Bilalian. Il est surtout politiquement étiqueté : député RPR de l’Ille-et-Vilaine de 1993 à 1997, il a animé un courant ultra-libéral avec le député Pierre Lellouche et le sénateur Philippe Marini. Et fut surtout le président délégué d’Idées-Action, le think tank d’Alain Madelin. Les statuts du Medef stipulent que l’organisation est « apolitique » ? Qui y croyait ? Avant Seillière, il critiquait la mollesse de feu le CNPF (2). Après Seillière, il pourrait bien hausser encore le ton, car ce serait possible ! Lors des dernières manifestations contre la réforme des 35 heures, il fut le premier, au Medef, à affirmer, sans rire, que le pouvoir d’achat des Français n’a pas baissé, et que les entreprises n’ont pas intérêt à négocier les salaires.
Autre petit patron qui se verrait bien numéro un et bien implanté dans les Medef territoriaux : Hugues-Arnaud Mayer. De son côté, Laurence Parisot bénéficie du soutien d’Ernest-Antoine Seillière. « Un femme, se faire élire à tête du Medef, impensable ! », dit toutefois un fin observateur patronal. Elle est la présidente de l’Ifop, un institut de sondages dont les enquêtes sont bien appréciées à droite. Elle-même ne cache pas ses préférences politiques. Ses déclarations valent toujours le détour. « La modernité et la liberté de penser s’arrêtent là où commence le Code du travail ! », a-t-elle lancé à la dernière assemblée générale du Medef (3). Un an plus tôt, elle avait dressé (et fustigé) une liste de livres et films qui ne donneraient pas une bonne image de l’entreprise.
Reste Guillaume Sarkozy qui propose un ticket avec Francis Mer, cherchant ainsi à faire oublier son patronyme. Un duo très médiatisé, puisqu’il s’agit du frère du président de l’UMP et d’un ex-ministre du gouvernement Raffarin, mais pas très en phase avec la volonté affichéedes patrons de dégager le Medef d’une image partisane. Côté libéralisme, on ne sera pas en reste. En 2002, Guillaume Sarkozy déclarait, lors d’une conférence de presse : « Je suis fier d’être un patron français qui délocalise ! Assez de faux-semblants : la perte de l’emploi, la déstabilisation industrielle, c’est normal, c’est l’évolution ! » Au fond de la salle, même les représentants du Medef pâlissaient : « ça n’engage que lui ! »
Premier test du nouveau patron des patrons : il devra se déterminer quant à son rôle sur le terrain politique. Notamment en vue des échéances électorales de 2007. Seillière avait pris le parti de « harceler les politiques », selon sa propre expression. Comme s’il était lui-même candidat, il rédigeait des programmes, prenant modèle sur son homologue italien, la Cofindustria, qui, aux différentes élections, voit régulièrement ses propositions reprises par Silvio Berlusconi. Sera-t-il plus homme politique (de droite) ou plus patron ? Officiellement, Seillière s’était toutefois toujours refusé à appeler à voter pour un parti politique bien précis, à l’inverse de certains de ses prédécesseurs.
Le lobbying
Il n’est pas vraiment sûr que ce soit rangé dans ses priorités, mais le nouvel homme fort du Medef pourrait aussi tenter de réussir là où Seillière a piteusement échoué : essayer de faire aimer les entreprises aux Français. Et, en bon lobbyiste, se faire aimer également du chef du gouvernement, Jean-Pierre Raffarin, qui, malgré ses efforts, a, paraît-il, été blessé par des propos belliqueux du baron Seillière, qui l’accusait de n’être pas suffisamment libéral : « EAS » parlait même du « pauvre monsieur Raffarin » et de « bêtise économique », ce à quoi le Premier ministre répliquait en dénonçant « l’esprit de supériorité » du patron des patrons. Finalement, Raffarin n’a pas coupé, loin de là, les ponts avec le Medef, mais s’est rapproché davantage de la CGPME (4), autre club ultra-libéral de patrons, présidé par Jean-François Roubaud. Et qui autrefois, sous la férule de Lucien Rebuffel, fut ce que l’on appelle une organisation poujadiste. Seillière fut très critiqué par les siens pour ses emportements contre un « gouvernement de droite qui n’ose pas », ou du moins pas assez, faut-il comprendre. Le nouveau patron du Medef saura-t-il « travailler », main dans la main, avec un gouvernement de droite, en parvenant à mieux le dissimuler et dans des relations moins passionnelles ?
Par quels moyens le successeur de Seillière tentera-t-il de cogérer la France avec le gouvernement en place ? Il est quasiment exclu que le Medef revienne aux vieilles méthodes de l’ère Jean Gandois, souvent demandeur de négociations avec les syndicats et qui pouvait même, ce qui l’a fait chuter, « faire confiance » à un gouvernement socialiste. Le nouveau pourrait bien s’appuyer sur les outils de lobbying mis en place par Seillière et qui n’existaient pas avant lui, du moins sous cette forme très élaborée (5). Mais quid des relations avec les syndicats ? Le Medef privilégiera-t-il toujours la négociation sous un gouvernement de gauche pour mieux réclamer des décrets libéraux lorsque la droite revient au pouvoir ?
Le « Pacte de croissance »
La première négociation sur laquelle le nouveau patron du Medef sera très observé interviendra dès la fin 2005 : la périlleuse négociation sur les comptes de l’Unedic, l’organisme paritaire qui gère l’assurance chômage. Le déficit de l’Unedic, qui a dépassé le seuil symbolique des 10 milliards d’euros fin 2004, devrait atteindre, selon les partenaires sociaux, le record de 12,7 milliards d’ici à décembre, avec toutefois une légère amélioration attendue en 2006. Après l’accord Unedic de décembre 2002, qui avait débouché sur l’affaire des « recalculés », ces demandeurs d’emploi dont les droits à l’assurance chômage ont brutalement été réduits, le Medef pourrait bien demander une nouvelle facture aux chômeurs. Certains, dont Denis Gautier-Sauvagnac, vice-président du Medef et président de l’Unedic, militent déjà pour le retour à la dégressivité des allocations. Les syndicats, de leur côté, devraient proposer, en plus d’une hausse des cotisations patronales, que l’Etat mette aussi la main à la poche. Puisque Jean-Pierre Raffarin n’aura vraisemblablement pas tenu son engagement de faire baisser le chômage de 10 % en 2005.
Enfin, le prochain patron des patrons devrait s’appuyer sur le « Pacte de croissance », ces cinq priorités que l’assemblée générale du Medef a votées pour d’ici à 2007. Parmi elles, « alléger la fiscalité » (dont suppression de la taxe professionnelle et de la taxe sur les salaires, et réforme de l’impôt de solidarité sur la fortune), « libérer l’emploi » (avec notamment une réforme de l’école), et « libérer le dialogue social ». Derrière cette dernière expression se cache, en réalité, un allègement du Code du travail. « Laisser chaque entreprise négocier avec les salariés », préfèrent dire les patrons. Ça fait peur ! O.G.
1. « Nous avons la conviction que l’entreprise constitue la cellule de base de la société ; mais cette cellule de base n’est pas chargée pour autant d’apporter des garanties sociales à ses membres », déclarait-il en septembre 2000.
2. Conseil national du patronat français, créé en 1946.
3. Le 18 janvier à Paris.
4. Confédération générale des petites et moyennes entreprises.
5. Seillière avait même créé une direction du lobbying, appelée aussi « direction des relations avec les pouvoirs publics », dont la mission est encore aujourd’hui de rédiger des projets de loi et des amendements parlementaires.