Accueil > Société | Par Cécile Raimbeau | 1er mars 2008

Méditerranée battante : Karima Berriche

Cette fille d’immigrés algériens qui a réussi ses études a choisi de construire sa vie professionnelle dans la ZUP Nord de Marseille. Devenue directrice de l’Agora, centre social de la cité Bussérine, elle s’est réconciliée avec son histoire.

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« Sortez de la cité ! Allez voir de l’autre côté ! »

Lorsqu’elle réunit des familles maghrébines, kurdes et comoriennes autour d’une grande galette, Karima Berriche est comblée. Elle prend des nouvelles d’une grand-mère malade ou d’un frère rentré au bled. Karima aime tant les gens qu’elle irradie de la gaieté. « Je les respecte pour ce qu’ils sont. » Dans une douce ironie, elle taquine un chibani : « Bien, mon commandant ! », lance-t-elle à ce vieil homme en djellaba qui égrène sa vie : il a combattu dans l’armée française, travaillé dans les mines du Nord, construit le métro parisien... Il lui fait penser à son père, débarqué à Marseille fin 1946, parmi les convois d’indigènes envoyés reconstruire la France d’après- guerre.

Dans le centre social de la cité Bussérine, au cœur de la ZUP Nord de Marseille, Karima se sent dans son élément. Elle est l’heureuse directrice de ce rare lieu de rencontre pour les familles, les jeunes et les enfants où l’on propose du soutien scolaire et toutes sortes d’animations. « Parfois, on vient simplement boire un café parce qu’on s’y sent bien. L’Agora est la maison de tous », insiste Karima. Cela peut sembler bizarre, mais elle aime travailler dans cet environnement de tours dressées dans les années 1960-1975 « sans aucun équipement structurant ». Est-ce parce que ce ghetto recouvrit à la va-vite le plus grand bidonville de Marseille qui abrita en son temps son grand-père et son père ?

Karima Berriche, 47 ans aujourd’hui, emménage avec ses parents à Bussérine l’année de son bac. Pour celle qui est née dans un quartier populaire voisin, fait de bâtisses modestes, mais individuelles, et de jardins, c’est un choc : « Je n’avais jamais vu autant d’Arabes et de Noirs ! » D’emblée, elle hait cette cité, y vit en pointillé, le nez collé à ses cahiers. « J’ai vécu la disqualification résidentielle, l’enfermement entre soi, insupportable ! » Ses études en sociologie sont une bouffée d’air. Karima obtient un DEA, malgré ses désavantages. « Angela Davis disait qu’elle était femme, noire et communiste ! Moi, c’est femme, immigré et handicapée ! » Karima fait référence à sa jambe qui boîte. Elle a eu la polio, enfant.

En 1994, elle est diplômée. Elle a fui la cité pour se réinstaller avec ses parents dans le vieux quartier ouvrier, mais Bussérine colle à sa vie. « Repérée par mes pairs, je redécouvre le quartier par le biais associatif », raconte-t-elle. Sollicitée, elle se mêle d’abord au projet créatif d’un artiste. Celui-ci dispense de la danse-thérapie afin de lutter contre la toxicomanie. Puis, elle intègre un groupe de femmes maghrébines qui fédère des énergies. Karima devient formatrice. Dans le quartier, les rébellions se sont renforcées, conduites par des parents d’élèves et des enseignants, des acteurs sociaux, des élus du PCF. Ensemble, ils ont porté des revendications et donné naissance à une association pour apporter des solutions. Puis l’association a été pressentie par la CAF pour animer le nouveau centre social Agora. C’est ainsi que Karima en devient directrice.

Célibataire, sans enfants, elle est un peu la mère de tous les adolescents du centre. « Ils disent que l’Agora est leur seconde famille », sourit-elle. Bachelière, Karima ne connaissait pas ses voisins, maintenant, elle s’émerveille : « Il y a une vie de village, une vraie vie intense ! » La voilà fascinée par « l’intelligence des gens ». Elle s’explique : « Pour moi, l’intelligence, c’est de transcender son individualité sur un projet collectif. Or, non seulement il y a de la solidarité, mais c’est incroyable combien les gens savent ce qui leur convient. Ils font une véritable expertise. » Leurs diagnostics, elle les a tant de fois recueillis ! A quoi bon ? « Si le social use, les réponses politiques usent encore plus... », soupire-t-elle.

Dynamique, Karima se bat tous les jours. Quand elle sort de réunion, elle croit quitter un ring. Au quotidien, elle se bat surtout contre la peur. « Les gens sont habités par la peur de ce qu’ils renvoient. A Bussérine, l’identité n’est pas une carte de visite ! » Alors les habitants se réfugient dans le communautarisme. « Entre Noirs et Arabes, il n’y a pas d’autres modèles contradictoires pour faire de vrais choix. » Elle leur dit : « Sortez ! Allez affronter l’autre côté ! » Mais Karima se sent désarmée face à ce phénomène « qui se nourrit d’une société en manque de places ».

Elle a enfin trouvé la sienne. « Si on me mutait ailleurs, je changerais de métier pour rester dans cette cité. » Du coup, ses parents ne la comprennent pas. Ils ont toujours rêvé de la sortir de la cité. « Pour eux, ma carrière est un échec ! » Elle s’en fiche, elle travaille cinquante heures par semaine payées trente-cinq, voit son métier comme un engagement, parce qu’elle se sent redevable. « J’ai réussi à m’en sortir grâce à des gens qui m’ont dit que c’était possible ! » Quand une gamine en échec scolaire obtient une bonne note à l’école, après le soutien scolaire, Karima trouve sa récompense. Elle remplit ses batteries d’heureuse directrice. « Je me suis réconciliée avec mon histoire grâce à ce quartier. » C.R.

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