Regards : L’Union pour la Méditerranée, telle qu’elle a été lancée le 13 juillet dernier à Paris, vous paraît-elle être de nature à redynamiser le partenariat euroméditerranéen ?
Thierry Fabre : Le lancement réel s’est fait pendant la campagne présidentielle de 2007. Et il faut porter cela au crédit de Nicolas Sarkozy, qui a remis la question méditerranéenne, à mon sens essentielle, sur l’agenda politique. La gauche, elle, a été totalement silencieuse et l’est restée sur ce sujet. Cette incapacité à porter un projet international, cette attitude nombriliste, sont difficilement compréhensibles aujourd’hui... Pour revenir au sommet, il y a une différence entre l’idée lancée au départ, d’Union de la Méditerranée, et celle, retenue à Paris, d’Union pour la Méditerranée. Dans le premier cas, la Méditerranée est au centre du projet. Dans le second, elle redevient l’objet d’un octroi du Nord vers le Sud et on retrouve une posture néocoloniale. Le sommet s’est tenu sur la base d’un document préparé par la Commission européenne qui est indigent. La montagne a accouché d’une souris et une belle idée, nécessaire, est aujourd’hui complètement dévoyée. Il y a beaucoup à faire dans l’espace méditerranéen sur les terrains des migrations, de la culture, de la recherche, de la création, etc. Et on ne peut surtout pas exclure la dimension humaine d’un tel projet. Mais Sarkozy, c’est l’Europe citadelle qui l’intéresse.
Regards : On a beaucoup mis en avant sa capacité à réunir autour d’une même table des dirigeants en situation de conflit...
Thierry Fabre : C’est très bien qu’il soient là, mais après ? C’est un théâtre d’ombres, de la diplomatie-spectacle. Quelle est la véritable écoute des attentes du monde méditerranéen ? Sur la culture, la recherche, des domaines auxquels je suis très attentif, absolument rien n’est sorti de ce sommet. Et le silence sur la question des libertés publiques est retentissant. On pense donner le secrétariat de l’UPM à Ben Ali, le dictateur tunisien qui enchaîne un cinquième mandat... C’est le témoignage d’un aveuglement incroyable : au nom de la crainte de l’islamisme, on continue de renforcer ce type de pouvoir. Or, il y a la place pour un autre type d’approche. Si l’on est bien obligé de faire un peu de realpolitik, il faut avant tout aider ceux qui, à l’Est et au Sud de la Méditerranée, travaillent à l’intérieur de leurs propres sociétés pour faire avancer les choses. Sans rien leur imposer, mais simplement en veillant à ne pas les laisser seuls dans leurs démarches. Là on est simplement dans la grande incantation et le seul intérêt de ce sommet, je le répète, c’est d’avoir remis la question méditerranéenne sur l’agenda politique.
Regards : Précisément, pourquoi semble-t-il aujourd’hui plus nécessaire que jamais de construire du commun dans l’espace méditerranéen ?
Thierry Fabre : Ce que je redoute, c’est la mise en place d’une confrontation entre l’Islam et l’Occident et le monde méditerranéen est un entre-deux idéal pour sortir de ce face à face. On est aujourd’hui dans un temps de la colère et de la violence. La colère monte, l’animosité se fait croissante. C’est lié à l’immobilisme politique, dans les pays du Sud notamment, où il n’y a plus de perspectives. Et, de l’autre côté, un discours et des pratiques de peur : affaire des caricatures, coalition d’extrême droite européennes contre l’Islam, discours de la droite italienne, d’Hortefeux, directive retour, etc. Je vois des désirs de guerre monter, et je vois se fourbir les armes dans le langage utilisé. On est dans une période de régression politico-identitaire. On peut tout à fait éviter le pire, et l’espace méditerranéen me semble être un formidable horizon de dépassement pour cela. Mais encore faut-il élaborer un vrai projet commun si l’on veut, dans les vingt ou trente ans qui viennent, atteindre cet horizon.