Dans son premier roman paru en 2008, Des néons sous la mer, Frédric Ciriez se faisait le chantre, ou plus simplement le narrateur, d’une utopie sociale : celle de prostituées constituées en SARL, et gérant collectivement un bordel installé dans un ancien sous-marin d’attaque de la Marine Nationale arrimé en baie de Paimpol. A l’entrée, le physionomiste acceptait ou non les clients en les dévisageant à l’aide du périscope… Ca changeait des autofictions « papa, maman, la bonne et moi ».
Dans Mélo, texte conçu comme un retable en trois volets, beau et aussi cadavérique que celui d’Issenheim, c’est-à-dire comme une « crucifiction », Ciriez met en scène trois personnages urbains qui, durant un 30 avril, vont se croiser dans un Grand Paris parfaitement décrit : un syndicaliste qui, la veille de la Fête du travail, va se suicider d’un coup de couteau dans le cœur, dans sa voiture garée près de la fourrière ; un éboueur congolais, roi des Sapeurs, ces Africains qui ne vivent que pour la sape, qui commence sa journée dans un camion poubelle pour la finir princièrement dans une Rolls ; enfin, une petite Chinoise lesbienne qui, pour financer ses études de marketing, vend des colifichets aux touristes en glissant sur ses rollers le long des Grands Boulevards. Trois personnages hantés par l’accélération, le déchet, la consommation, la consumation.
Après Des néons sous la mer, la lecture de Mélo donne furieusement envie de ranger Frédéric Ciriez du côté de l’espèce en voie de disparition des grands écrivains prolétariens (Queneau, Calet, Perec — mais oui, bien sûr, Perec), ceux qui écrivent avec le peuple, ou du moins à ses côtés, dans ses pensées.