Miguel Benasayag estime que la mouvance altermondialiste, et d’autres mouvements récents ont réveillé un grand espoir, résumé par le slogan « un autre monde est possible ». Et Bien non. D’après lui, un autre monde n’est pas possible. « Nous sommes dans une période obscure actuellement, un moment où l’idéologie dominante ne semble pas dépassable. » Il prend exemple sur l’Amérique Latine, où il y a « des gouvernements honnêtements de gauche, démocratiques », et le résultat se résume à « des soins palliatifs ». C’est tout un sous-continent avec le peuple mobilisé derrière, mais « il n’y a pas de changement de structure », car « on nous dit qu’on ne peut pas toucher aux marchés, à la propriété privée, etc. »
« C’est dur de penser pour un homme ou une femme de gauche que ce pourquoi il lutte n’aura pas de fin »
Pour Miguel Benasayag*, « l’espoir ne sert à rien, l’espoir c’est encore discipliner les gens pour aller voter et la fermer ». Mais « ici et maintenant, la lutte politique ce n’est pas pour un modèle, mais dans un but organique, qui est de lutter pour les justices multiples ». Il pense que s’il y a un changement historique, il se fera avec « une redistribution des justices et des injustices » : « on ne peut plus adhérer à l’idée d’une prochaine société sans injustices ». Alors « être de gauche aujourd’hui, c’est lutter pour la justice : je lutte contre cette injustice là, pour ce projet là qui me semble mieux, mais je ne lutte pas pour la fin de toutes les injustices ». Il s’oppose aux militants des partis de gauche ou d’extrême gauche qui « veulent changer le monde ». « C’est leur métier, et tout ce qui dépasse ils vont essayer de s’y accrocher, dans la vie réelle, mais ils s’en foutent ». Il fustige au passage les tentatives de récupération systématique des organisations politiques de gauche envers les mouvements sociaux, du mouvement altermondialiste à la lutte anti-CPE.
« Un militantisme proche des pratiques »
Il affirme qu’il ne faut pas baser toute l’action d’aujourd’hui dans un espoir de rupture, qui est toujours historiquement inopinée. « Et cela ne veut pas dire être réformiste, cela veut dire : les métèques, ils restent ici. Les usines, elles ne ferment pas. L’impératif économique, il ne passe pas. Et je n’ai pas besoin d’un modèle communiste pour dire ça ». « Les militants d’extrême gauche ont un côté messianique, avec des ’ il n’y à qu’à...’. », « alors qu’il faut un militantisme proche des pratiques, sans une centralité de quelqu’un qui sait tout sur tout. Sinon on arrive à des trucs tristes et grossiers. »
Miguel Benasayag pense que la contestation doit s’accompagner d’une « négation radicale » en « réhabilitant une contestation non-programmatique ». « On a tout à fait le droit de s’opposer aux injustices, même si l’on a rien à proposer. C’est un piège gestionnaire, de devoir proposer un programme clef en main si l’on s’oppose. Quand on s’oppose on propose déjà la solidarité, l’amour, le désir de justice, la joie. Un militantisme plus joyeux c’est un militantisme capable de créer, de dégager une puissance. Alors que le côté curé des commissaires politiques est inhérente aux organisations actuelles. »
Rapport entre « contre-pouvoir » et « politique politicienne »
Il souligne cependant qu’il faut inventer ce rapport parallèle entre « le contre pouvoir qui se développe en multiplicité de tous les côtés, et les gens qui aiment faire de la politique politicienne. Et leur boulot, c’est d’être à l’écoute de ce qui se passe dans la puissance ». L’engagement devrait alors « aller dans cette multiplicité de collectifs plus ou moins agencés, qui cherchent tout azimuts, sans lâcher prise sur la démocratie formelle ». Selon lui, faire de la politique ce n’est pas uniquement « faire de la politique représentative, même si elle est très importante », et celle-ci doit « s’abreuver des mouvements multiples et contradictoires ».
Il insiste également sur la nécessité d’une gauche « décomplexée » : « par exemple dire que tout ce qui est légitime n’est pas forcément légal. » Il devient alors légitime d’occuper des maisons vides, d’héberger des sans-papiers, de brûler des champs d’OGM, etc.
A un niveau théorique, il ne pense pas qu’il existe une réponse possible, « les réponses doivent être des hypothèses locales et multiples, théoriques et pratiques à la fois. Il faut construire des micro-théories, des micro pratiques, qui se critiquent entre elles, qui se relancent ».
Pour conclure, selon Benasayag, « la gauche a tout intérêt à accepter qu’il y a une crise profonde de ses fondements, sinon il y aura une sociale-centriste-démocratie, il n’y aura plus de gauche ».