Accueil > économie | Par Marie Bonnard | 1er décembre 2006

« Notre fonction est de garantir les libertés individuelles »

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« J’ai obtenu le concours de la magistrature en 1985, et j’ai ensuite exercé plusieurs fonctions dont la dernière en date est celle de juge des enfants. J’ai été nommé vice-président à Meaux en 2001, et affecté à Bobigny en 2004 en tant que JLD. C’est l’abréviation communément utilisée pour désigner le juge des libertés et de la détention. Notre fonction est de garantir les libertés individuelles. Nos attributions s’étendent de la mise en détention provisoire au règlement des contentieux concernant les étrangers en situation irrégulière. Nous délivrons aussi les autorisations de perquisition fiscale ou douanière, et nous pouvons, par exemple, être saisis par une personne hospitalisée d’office en institution psychiatrique et qui demande à en sortir.

C’est une fonction qui a été créée le 15 juin 2000 par la loi Guigou, et qui ne peut être exercée que par des magistrats ayant atteint le grade de vice-président, donc déjà expérimentés. C’est en effet une fonction sensible, pour laquelle il faut avoir une forte motivation. Nous sommes amenés à prendre des décisions lourdes car touchant directement à la liberté des individus. A sa création, la fonction de JLD a été mal perçue dans le milieu judiciaire, car il jouait le rôle du gêneur, qui dépossédait le juge d’instruction d’une partie de ses attributions. Il semblait figurer un règlement de compte entre hommes politiques et juges d’instruction. Ce n’est plus au juge d’instruction qu’il revient de délivrer les mandats de dépôt. Le juge Burgaud, sur lequel tout le monde a fait une fixation pendant l’affaire d’Outreau, n’est en réalité responsable d’aucune des mises en détention provisoire qui ont été prononcées. J’avais moi-même assez mal ressenti cette réforme, mais avec le recul je pense que ça a été une très bonne chose de dissocier les missions d’investigation, dévolues au juge d’instruction, des contentieux de la détention et de la préservation des libertés individuelles.

JLD demeure une tâche ingrate. Elle peut sembler aux antipodes de toute conviction humaniste, mais je pense qu’un JLD doit au contraire impérativement être animé de telles convictions pour exercer correctement sa fonction. Prenons le cas d’étrangers en situation irrégulière que je place en zone d’attente. Je ne suis pas pour une immigration massive et un contrôle aux frontières est certes nécessaire. Mais il est indispensable de ne pas oublier que ces personnes sont des êtres humains, ils ont des droits. Je me dois avant toute chose de garantir ces droits inaliénables de la personne humaine. Pour moi, la fonction de JLD est en fait une manière de mettre en application ses convictions humanistes.

On ne se bouscule pourtant pas pour exercer la fonction de JLD, très contraignante au niveau des horaires. Mes journées de travail se poursuivent souvent jusqu’à des heures très tardives, parfois jusque dans la nuit. L’enjeu est de taille, et il s’agit de ne pas bâcler les dossiers. Et de ne surtout pas s’en tenir à la saisine du juge d’instruction, nous ne sommes pas des chambres d’enregistrement ! Nous sommes parfois exposés à des pressions, de la part de la préfecture qui a des quotas à remplir, ou d’un juge d’instruction accroché à sa volonté de nous voir délivrer un mandat de dépôt... Le JLD doit savoir être hermétique à toute pression, et garder à l’esprit qu’à partir du moment où il est saisi d’un dossier, il a une plénitude de juridiction. C’est une fonction dans laquelle on ne se fait pas que des amis !

Les réformes de la justice ne changeront pas grand-chose pour le JLD, sa fonction est déjà entrée dans les mœurs. L’important est que chacun tienne correctement son rôle au sein de l’appareil judiciaire, et celui-ci fonctionnera d’autant mieux. » Recueilli par Marie Bonnard

prénom : Jean-François

âge : 48 ans

emploi : juge des libertés et de la détention (« JLD »)

salaire : 5 500 e net/mois

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