« Publier des livres dont le public ne veut pas. » (Jérôme Lindon, fondateur des éditions Minuit)
« Nouveau roman » décrit la vie du groupe des auteurs de ce courant littéraire français d’après guerre, principalement lié aux éditions de Minuit. Chaque acteur joue un des auteurs (Nathalie Sarraute, Claude Ollier, Alain Robbe-Grillet, Catherine Robbe-Grillet, Claude Simon, Michel Butor, Robert Pinget, ainsi que le directeur des éditions de Minuit, Jérôme Lindon, le critique Claude Mauriac et les deux points hors-Nouveau roman mais liés à Minuit, Samuel Becket et Marguerite Duras, auxquels s’ajoute enfin le symbole de l’anti-Nouveau Roman, Françoise Sagan).
Il y a tout dans ce spectacle pour plaire trop facilement, c’est-à-dire pour déplaire : d’abord les ingrédients les plus récurrents de la scène actuelle (chansons qui ponctuent « agréablement » le déroulement du spectacle ; adresse type one-man-show de l’ouverture et ses inéluctables traits d’humour ; moment interactif avec la salle et balade du micro dans les rangs, jusqu’à la soupe partagée « pour de vrai » sur la scène), ensuite il y a une écriture scénique très convenue qui alterne moments graves et légers dans un « sens-du-rythme » dont on le louerait volontiers si l’on ne pensait pas, précisément, que l’ennui n’est pas une question de manque d’occupation, ni la tristesse, un manque de comique. N’a-t-on pas autre chose à faire que d’ « être amusés » quand on va au théâtre ? Tout cela constitue une telle panoplie d’inévitable, une absolue réponse aux injonctions les plus publicitaires du moment, que les bras du spectateur lambda en tombent encore. A fortiori quand le propos du spectacle semble être de regretter que le Nouveau roman ait été finalement le dernier grand moment de questionnement sur la forme… (Pour ne rien dire du moment de l’autodafé des livres du XIXème siècle, par les auteurs dudit Nouveau roman, dont on se demande si les connotations en sont bien souhaitées.)
Pendant le début de spectacle il est donc possible que l’on se dise que ce « Nouveau roman » n’est qu’un prétexte à ces sempiternelles scénettes de groupe, blagues potaches et autres numéros d’abattage qui produisent finalement un spectacle habile et bien portant de plus. Mais à quoi bon ? Et pour dire quoi ?
Et puis il est possible que, petit-à-petit, quelque chose d’une problématique autour de la modernité se fasse jour. Que l’on se dise que c’est là une actualisation assez originale de théâtre documentaire, entre les extraits de textes, les interviews – notamment l’échange entre Nathalie Sarraute et Isabelle Huppert pour les Cahiers du Cinéma (mais pourquoi le théâtre est-il trop souvent si peu à cette hauteur-là ? et pourquoi l’importance de ces questions ne modifie-t-elle pas la présence de ces acteurs, me fait remarquer un ami en colère) -, et la traversée de cette séquence de l’histoire littéraire et intellectuelle que ce portrait du Nouveau roman propose en sous-main. Et qu’on se dise que ce spectacle est peut-être, à partir de l’aventure du Nouveau roman, une façon de s’interroger sur l’histoire. Il y est question de la fin de quelque chose – fin du Nouveau roman avec la disparition de ses auteurs, dont le spectacle donne les dates des morts, et fin avec lui de la recherche sur les formes littéraires, d’une recherche dont les écrivains actuels, interviewés dans le spectacle, disent la force et l’audace. Cette recherche allant de pair avec la capacité à assumer la position du « reprouvé » (comme le dit Robbe-Grillet), qui apparaît aujourd’hui à la fois comme une énigme et une chose disparue. Quid de cet héroïsme ? Et si l’héroïsme était l’éthos moderne par excellence, quel serait le nôtre aujourd’hui ? C’est peut-être un des sens de l’extrait de Claude Simon – la description effroyable de son expérience de la bataille des Flandres en 1940 – que de nous faire sentir combien quelque chose historiquement a muté, combien nous n’appartenons définitivement plus à ce tissu historique là.
Qu’en est-il donc de la question de l’art aujourd’hui – puisqu’il faut dire le mot - , quelque sens qu’on lui donne ? Et le spectacle, dans sa complaisance aux formes les plus courantes, la pose, en creux – non, nous ne sommes plus dans la radicalité. Tout comme le fait cet hommage du théâtre à la littérature, toujours fasciné par cet art si minimal dans sa structure, tandis que les auteurs du Nouveau roman étaient captés à leur tour par la fascination du cinéma. (Que le spectacle ait été fait par un cinéaste n’est pas étranger peut-être à cette circulation, ou à ce jeu de regards, entre les arts.) Quid donc de cette affaire d’art – de quelque chose qui se donne comme radicalement étranger ? Qui pour la porter, et sous quelle forme ? Qui pour la désirer, et où ?