Comment sortir de ce piège : d’un côté, le « vote utile » face à la droite, de l’autre, une posture ultra-critique, dénonciatrice, juste dans sa radicalité, mais vouée à une influence électorale inférieure à 10% ?
Les propos de Pierre-François Grond et de Denis Sieffert résument à leur manière deux options possibles à la gauche du PS. L’option du Nouveau parti anticapitaliste postule que, pour une longue période, le PS est ancré dans une ligne de recentrage plus ou moins ouvertement « sociale-libérale » et que, dans ces conditions, rien n’est plus urgent que de rassembler les forces les plus critiques, dans le refus du PS, en attendant la possibilité d’alliances plus larges. Pour les responsables de l’actuelle LCR, toute autre posture stratégique équivaut à abaisser le niveau de l’exigence critique révolutionnaire et à faire le jeu de la social-démocratie.
DYNAMIQUE MAJORITAIRE
Une seconde option consiste à dire que l’hégémonie d’un parti socialiste recentré, depuis le début des années 1980, s’explique avant tout par l’absence d’alternative politique crédible. La tradition française, à la différence des expériences anglo-saxonnes par exemple, ne voue pas la gauche critique à la position marginale de supplétif ou d’aiguillon de majorités inexorablement dominée par la social-démocratie. Encore faut-il que les forces les plus critiques, de l’extrême gauche à la gauche socialiste, soient capables de s’unir politiquement, jusqu’aux échéances électorales, autour d’un projet ouvertement transformateur.
Personne ne sera surpris de lire que je me range du côté de la seconde option. Pierre-François Grond et ses amis superposent à mes yeux deux objectifs : le regroupement des « révolutionnaires » et le rassemblement d’une gauche de gauche, postulant dès maintenant à l’hégémonie politique au sein de la gauche tout entière. Je pense pour ma part que les deux objectifs doivent se penser en même temps : impossible de créer une dynamique majoritaire de gauche transformatrice si, d’une manière ou d’une autre, les « révolutionnaires » ne conjuguent pas leurs efforts. Mais, sans se dissocier, les deux objectifs ne se confondent pas ; ou alors cela signifierait que l’on accepte pour une longue période, en privilégiant le regroupement minoritaire des plus critiques (les « anticapitalistes »), de laisser la majorité de l’opinion de gauche (potentiellement « antilibérale », comme elle l’a montré en 2005) sous la coupe du PS social-libéralisé.
Pour cette raison, je suis particulièrement sensible à l’appel de Denis Sieffert et de nos amis de Politis . Je crains, moi aussi, que le PS ne soit engagé très avant dans un cycle de droitisation politique, quels qu’en soient les formes, le langage et les porte-parole. Dans ce contexte, nous ne pouvons nous résoudre à l’évolution actuelle, inscrite dans les résultats électoraux de 2007 et 2008. La gauche ne peut pas être condamnée entre, d’un côté, une logique majoritaire de « vote utile », face à une droite radicalisée à droite et, de l’autre côté, une posture ultra-critique, dénonciatrice, juste dans sa radicalité, mais vouée à une influence électorale inférieure à 10%. Pour se sortir de ce piège, il n’est pas possible de laisser le mouvement social de contestation privé d’une perspective politique crédible, à usage immédiat. La seule hypothèse réaliste est le regroupement de toutes les forces et sensibilités critiques, partisanes ou non, qu’elles se disent « anticapitalistes », « radicales », « antilibérales », dans une construction commune entamée dès maintenant, comme cela se fait en Allemagne ou en Grèce. Dans ce rassemblement, ont leur place des militants de l’extrême gauche, des communistes, des républicains de gauche, des alternatifs, des alter-écologistes de tout type, des féministes, des anticonsuméristes, des militant(e)s des droits, des syndicalistes, des associatifs, des personnalités critiques de toutes sensibilités et de toutes pratiques. Ont aussi leur place des socialistes qui n’acceptent pas d’associer le mot de « socialisme » aux cultures et pratiques de capitulation devant le dogme libéral.
CONSTRUCTION COMMUNE
Quelle forme doit prendre cette construction commune ? Celle d’un front classique de partis séparés ? Celle d’une confédération où chacun garde sa structure propre ? Celle d’une force politique nouvelle, ouverte et pluraliste ? Je penche, pour la dernière solution, pour des raisons d’efficacité. Et, dans cette force nouvelle, je continue de plaider pour que les forces critiques issues de la tradition du « mouvement ouvrier » (ce que je continue d’appeler « les communistes ») conservent des liens explicites à l’intérieur de la formation neuve. Je penche pour la troisième hypothèse, mais je n’en fais pas une question de doctrine. Le plus important est qu’un pas en avant soit fait sans attendre dans cette direction.
2009 : ELECTIONS EUROPENNES
L’appel de Politis me convient, dans la mesure où il ne conditionne pas l’ouverture d’un processus concret de rapprochement aux formes stabilisées qui devront le conclure. Dans la préparation de l’élection présidentielle nous avions avancé sérieusement sur la stratégie (pas d’alliance avec le PS en l’état ; pas de renoncement à la possibilité de s’allier à terme avec lui, quand le rapport des forces le permettra) et sur le contenu programmatique. Nous avons buté sur les contraintes de l’élection la plus structurante de tout le système politique français. Ce n’est pas parce que l’on a échoué une fois, qu’il faut perdre le cap du fondamental. Dispersés, nous ne pèserons pas suffisamment dans un système politique qui tourne de plus en plus au bipartisme ; rassemblés, nous pouvons changer la donne, comme nous l’avons fait en mai 2005, au moment du référendum sur le traité constitutionnel européen.
A ce propos, nous allons être confrontés bientôt à un défi redoutable. L’année 2009 sera celle des élections européennes. Or, le système électoral est tel que, si nous n’y prenons garde, nous nous trouverons dans une situation étonnante. Difficile, au-dessous du seuil des 10%, d’obtenir une représentation parlementaire significative. Si la gauche de gauche se présente dans l’état de dispersion qui a été le sien lors des élections précédentes, le résultat sera donc inexorablement le suivant : les forces qui n’acceptent pas la logique libérale actuelle de la construction européenne seront quasi inexistantes dans l’enceinte du Parlement européen.
Alors que les Français ont énoncé majoritairement leur refus en 2005, alors que les électeurs de gauche ont fait majoritairement le choix du « non », ils seraient représentés par une majorité écrasante de députés partisans du « oui ». Quatre ans après le référendum français, un an après le référendum irlandais, les députés du « non » se compteraient sur les doigts d’une main ?
Ce serait démocratiquement intolérable et politiquement stupide. L’élection européenne en France est, par nature, l’élection qui échappe le plus à la logique du vote utile. A condition que la proposition politique faite aux électeurs soit attractive. En 2009, il serait possible de suggérer aux électeurs français qu’ils mettent leur vote parlementaire en cohérence avec leur vote référendaire. Mais le triomphe référendaire n’a été possible, n’est apparu réaliste que par la conjonction irrépressible des forces qui portaient le « non ».
Si les forces qui, à l’automne 2007 encore, ont réaffirmé leur refus du processus de Lisbonne, si ces forces convergent de nouveau, elles relancent l’espoir et elles peuvent créer la surprise. Si elles ne le font pas, chacun mobilisera plus ou moins ses partisans ; mais personne ne brisera une logique électorale perverse, dont le premier objectif est de briser toute contestation de l’orientation européenne actuelle. On cherche à briser le bipartisme ou on contribue à sa reproduction. Choisir le second terme de fait serait prendre une bien grande responsabilité.
R.M.
Paru dans Regards n°54 septembre 2008