Silhouette cunéiforme mince et élégante qui traverse le paysage poétique entre Istanbul et Ankara, Orhan Veli est né à l’embouchure de deux époques. Là où le grand empire ottoman finissant se jetait dans le siècle naissant de la Première Guerre. La République d’Atatürk apportait un vrai bouleversement linguistique, l’alphabet latin remplaçait l’alphabet arabe, l’ancien ottoman était supplanté par la langue turque, plus simple et compréhensible par tous. Orhan Veli va s’emparer avec frénésie de cette époque nouvelle, commençant sa « vie de dilettante » « à dix-neuf ans » . Dilettante dans le sens où Rimbaud peut être un dilettante, un dilettante qui rejette la prosodie, ignore le maniérisme poétique ottoman du divan, grandiloquent et traditionnel, pour sortir dans la rue, véhiculer son langage, vivre avec légèreté une modernité qui le rend accessible au point de devenir un poète populaire : « J’écoute Istanbul les yeux clos,/ Passe une fille sur le trottoir,/ jurons, chants, chansons, appels ; [...] Une lune blanche se lève derrière les pins,/ je le perçois par le battement de ton cœur,/ J’écoute Istanbul. » « L’œillet », « Le réchaud », « Le mal de tête » : « désir d’ordinaire » et refus du « poétique ». Son volume Etrange crée tout un courant... Un « premier renouveau » dans la littérature turque, venu à pas de loup, dans la simplicité déconcertante de sa poésie nue, souvent fulgurante comme le haïku : « Ce monde rend fou,/ Cette nuit, ces étoiles, cette odeur,/ Cet arbre fleuri de pied en cap. » Orhan Veli, mort à 36 ans, en 1950.
J.M.
Orhan Veli , Va jusqu’où tu pourras , traduction et présentation Elif Deniz et François Graveline, éd. Bleu autour, coll. « Poètes, vos papiers », 15 euros
Paru dans Regards n°67, décembre 2009
Merci pour cet article Julia. :)
Voilà le notre.
http://www.kedistan.net/2016/05/31/orhan-veli-je-ne-peux-pas-lexprimer/
Répondre