Un mort et un blessé, par un policier « noir » qui protégeait d’un groupe de supporters du PSG un jeune juif français portant le maillot du club israélien d’Hapoël. Un match repoussé. Une tribune fermée. Bref, la France confrontée à la menace hooligan.
Les mois de novembre et de décembre furent en grande partie accaparés par ce problème. Multiplication des débats parlementaires et télévisuels, les inévitables sociologues furent convoqués pour expliquer comment on peut mourir pour un match de foot. Avec en outre Nicolas Sarkozy en embuscade, soudain trop heureux de pouvoir endosser l’étendard de l’antiracisme pour en rajouter une couche dans son discours sécuritaire.
Le trouble est d’autant plus fort que l’opinion s’inquiète de manière générale devant la montée de la violence dans sa jeunesse (ces ados qui se filment au portable en train d’agresser gratuitement des passants). Dans le milieu propret du sport (mais où l’on peut se doper impunément et vendre les jeunes joueurs africains comme du bétail de luxe), la violence des supporters choque parce qu’elle semble déplacée. Les « racailles » ne se battent pas dans les musées, alors pourquoi s’affronter autour des enceintes sportives ?
Le réveil est d’autant plus douloureux que la France fut longtemps épargnée. Hormis évidemment le cas de la capitale et de quelques îlots à Nice ou à Lyon, voire à Marseille. Car toute l’inquiétude s’est brutalement tournée vers Boulogne, la tribune « blanche » nichée au cœur du Parc des Princes. Celle-là même qui accueillait dans les années 1980 skinheads et croix celtiques (même si, à sa naissance, elle s’avéra d’abord très punk dans l’esprit). Aujourd’hui, le kop of Boulogne (KOB) s’affiche nettement plus soft dans ses insignes et son apparence, divisée entre des associations (Boulogne boys, Gavroche, etc.) en haut et des « indépendants » en bas, noyau dur des hooligans parisiens, aux filiations kabbalistiques (commandos pirates, etc.). Leurs méthodes peuvent certes diverger. Le fonds reste commun. Amour du PSG, nationalisme, profond sentiment d’être « diabolisé » (notamment parce que « leur violence » serait selon eux moins tolérée que celles « des banlieues immigrées », cajolées par la police ). Loin d’être stupides, les membres actifs du KOB savent désormais adapter leur discours à des médias souvent ignares et maladroits, se réfugiant toujours derrière leur apolitisme affiché (pour ce qui concerne les associations) ou se revendiquant pour les « indé » de leur spécialisation « neutre » dans la pure violence entre hooligans (bien que toutefois ils n’hésitent évidemment pas à s’offrir des « récréations » extérieures au foot, comme lorsque six d’entre eux agressèrent récemment une jeune Française d’origine sénégalaise à l’occasion d’un déplacement au Mans.)
Car le KOB est devenu un lieu de passage obligé des jeunes fachos en quête de sensations fortes et adeptes de la « baston » comme forme d’émulation politique, fascinés comme des insectes par la lumière devant les prouesses des hools parisiens. Le seul endroit sur Paris où il leur est possible de se retrouver en force et sans camouflage. Les exemples ne manquent pas, de Maxime Brunerie à Nicolas Paz, ex du KOB récemment condamné pour l’incendie de la mosquée d’Annecy. Et même si le noyau dur reste rétif à l’embrigadement (quoique les « PSG hooligans » scandent régulièrement les manifs de l’ultradroite), ils n’acceptent toujours pas de voir la tribune Auteuil, trop métissée, oser venir leur contester la légitimité dans le Parc (d’où les affrontements très violents, sur fond de racisme, avec les Tigris Mystic, qui durent se dissoudre à la fin de la saison dernière). Le PSG a longtemps laissé faire ou essayait de négocier avec ces supporters, qui furent parmi ses premiers et plus fidèles. Les forces de l’ordre leur concédèrent longtemps une « zone de non-droit » autour de la porte de Saint-Cloud... La situation est-elle en train de basculer ? Seul l’avenir nous le dira...
Cette situation a néanmoins de quoi briser le cœur des amoureux du club parisien. Le PSG n’a jamais été aussi ouvert sur la population de la région parisienne. Ses joueurs historiques s’appellent Kaneb, Susich, Weah et Pauleta. Ses fans les plus médiatiques sont Roschdy Zem ou bien Enrico Macias (les juifs sépharades, comme la communauté antillaise, représentèrent une des composantes constitutives et bruyantes du public du club). Le PSG et ses supporters méritent mieux que cette image entachée de cris de singe et les réductions auxquelles recourent souvent les médias dans la foulée. Car, par ailleurs, les associations de supporters demeurent une des rares forces populaires de résistance à la réduction strictement marchande du football.
Paru dans Regards n° 36, Janvier 2007