Accueil > idées/culture | Par Jean Bérard | 1er décembre 2006

Pour une réforme carcérale radicale. L’invité de la rédaction : Jean Bérard, de l’OIP

Entre juin et septembre 2006, l’Observatoire international des prisons a conduit une vaste consultation auprès de détenus, gardiens, familles, travailleurs sociaux ou juges... 20000 questionnaires ont ainsi été recueillis, révélant de manière inédite l’horreur carcérale.

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J’ai vu des personnes qui n’ont rien à faire dans un centre de détention ou en maison d’arrêt. J’ai vu des personnes en fauteuil roulant. J’ai vu des personnes se promenant avec leur bouteille à oxygène. J’ai même vu un non-voyant... J’ai vu... « la misère qui se lit dans les yeux de tout le monde, même si on est un tas de muscles, on a toujours des larmes au coin de l’œil . Ce sont deux réponses à la question posée à tous les détenus de France par les Etats généraux de la condition pénitentiaire (1) entre juin et septembre 2006 : « Quels sont les aspects qui vous semblent les plus inacceptables concernant les conditions de détention dans les prisons françaises aujourd’hui ? Un autre raconte : « Ma mère a un cancer de la peau ; j’ai 22 ans, cela fait six mois que je ne l’ai pas vue au parloir et si on ne me donne pas de permission de sortir, peut-être que je ne la reverrai jamais ! « Moi, ça fait deux mois que je suis en prison, j’ai vu deux suicides , explique un prévenu. Un condamné à une longue peine, enfermé dans une maison centrale, résume la situation : « Dites-nous de quoi vous avez besoin, on vous dira comment vous en passer. La perspective de la libération n’offre pas toujours la promesse d’un avenir meilleur : « A votre sortie, on ne vous souhaite pas bonne chance, on vous dit « à bientôt ». « Imaginez-vous avec des sacs devant la prison, seul. Où allez-vous ? Que faites-vous, sans argent, à dix kilomètres de la ville la plus proche »//

SURVIE

Ceux qui travaillent en détention, et à qui la question a été posée, expriment les mêmes constats. Une personne extérieure à l’administration pénitentiaire, mais intervenant en prison, dit ainsi l’intolérable carcéral : « Les détenus survivent en prison davantage qu’ils n’y vivent. Je suis heurtée en tant qu’être humain des conditions dans lesquelles ils sont « mis sous tutelle ». Il m’est difficile d’accepter que les détenus soient fouillés au corps au plus profond de leur intimité ; il m’est difficile d’accepter qu’ils soient soumis aux décisions arbitraires des autorités administratives ; il m’est difficile d’accepter que les visites chez le médecin, le dentiste, soient considérées comme un luxe dont ils pourraient bien se passer ; difficile d’accepter l’absence de Code du travail, la privation sensorielle, la violence. Impossible de tout énumérer. » //« L’image du prisonnier et son statut doivent absolument évoluer »//, conclut-elle.

Respect des droits, accès aux soins, application du droit du travail, droit à l’intimité, préparation et accompagnement de la libération, autant d’attentes partagées par plus de trois personnes détenues sur quatre. 86% d’entre elles demandent un accès quotidien à une activité, à une formation ou à un travail, 88% à être affectées dans un lieu de détention proche de celui de leur famille, 84% à pouvoir consulter un médecin la nuit ou le week-end... Mais, si les détenus ont donné à voir leur condition et leurs espoirs, ils ont également dit que la transformation profonde de leur situation était affaire de manière de voir. A la question de savoir ce qu’ils attendent d’une réforme des prisons, ils ont délaissé les aspects matériels pour espérer, en premier, un « changement de regard » de la société. Car, comme l’explique un médecin, « le plus gros obstacle [à une réforme des prisons] vient sans doute de la représentation de la prison que se font une grande majorité de personnes : un lieu où l’on doit souffrir pour expier ! Cela justifie les locaux sordides, l’indifférence et le mépris... » Comme antidote au mépris, un prévenu a présenté son « utopie »  : « Favoriser les consultations et les débats entre administration pénitentiaire et détenus. La prison est une particularité sociétale dans laquelle on doit retrouver les principes fondamentaux de notre République et en particulier la libre pensée, donc la libre parole. »

La consultation lancée par les Etats généraux n’a d’abord pas eu d’autre but que de faire vivre, durant quelques mois, une parcelle de cette utopie. Dans des établissements pénitentiaires qui ne reconnaissent ni droit d’expression, ni droit d’association, ni confidentialité de la correspondance, la démarche a consisté à transmettre à tous les prisonniers, par le biais des délégués du médiateur de la République, un questionnaire commun, qu’ils pouvaient remplir et retourner sous pli fermé.

« AIDEZ-MOI »

Leur exclusion ordinaire du débat public, de la participation politique a si bien produit son effet que, à l’heure où cette consultation a été lancée, des craintes ont été soulevées. Les personnes détenues allaient-elles accepter ou rejeter cette offre d’expression, elles qui ont connu tant d’espoirs de réformes avortées ? Allaient-elles s’approprier un objet complexe et ardu, conçu pour respecter la difficulté des problématiques carcérales ? Allaient-elles réagir par la colère ou la violence à une possibilité d’expression ouverte, après tant de silence ? Il est certain que des prisonniers se demandent si les Etats généraux suffiront à produire la mobilisation publique et politique suffisante à une réforme carcérale radicale, et ils l’ont exprimé dans leurs réponses. Il est certain également que l’appropriation de ce questionnaire n’a pas toujours été aisée, ainsi qu’en témoigne par exemple ce détenu qui nous dit répondre pour lui et ses camarades qui ne savent pas écrire. Il est certain enfin que le drame de certaines situations a parfois été trop important pour laisser la place à un univers de propositions précises, telle cette personne qui, à la question de savoir ce qu’elle attendait d’une réforme pénitentiaire, a seulement noté « Aidez-moi » .

Mais 15 000 personnes : plus d’un prisonnier sur quatre : ont répondu à la demande que nous leur avons adressée, ouvrant ainsi un espace d’expression inédit sur la condition carcérale. Ils l’ont fait avec un très grand sérieux, en faisant apparaître leurs espoirs de changement. Les organisations qui participent aux Etats généraux et regroupent des syndicats de magistrats, d’avocats, de surveillants et de travailleurs sociaux, des associations

d’aide à la réinsertion et de défense des droits de l’Homme, ont tenté de prendre la mesure de cette interpellation. A la constitution massive des détenus comme des sujets responsables et capables d’exprimer ce dont ils ont besoin pour que leur détention ne soit ni une humiliation ni un déclassement, les Etats généraux ont répondu par une interpellation politique : les prétendants à la présidence de la République s’engagent-ils sur un certain nombre de principes fondamentaux, sur un ensemble de points nécessitant une réforme immédiate et sur des objectifs de transformation de la situation pour la législature ? C’est ce qui leur a été demandé le 14 novembre.

Il y a trente ans, Michel Foucault terminait Surveiller et punir en nous demandant d’entendre, dans l’humanité enfermée, « le grondement de la bataille » . Aujourd’hui, nous devons faire œuvre de vigilance citoyenne pour que la puissance de la parole exprimée par l’humanité que nous laissons derrière des hauts murs ne se perde pas, tant qu’une réforme fondamentale n’a pas été effectivement engagée, adoptée et mise en œuvre. Jean Bérard

[[1. Le questionnaire, les résultats de la consultation et les textes adoptés par les États généraux de la condition pénitentiaire sont disponibles sur le site http://www.oip.org
] Jean Bérard de l’Observatoire International des Prisons, est agrégé d’histoire, doctorant à l’Université Paris-VIII et rédacteur de Dedans dehor , revue de l’OIP.

Paru dans Regards n°35, décembre 2006

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