François Hollande en
avait fait l’une de ses
principales promesses :
le socialiste voulait « renégocier
le « pacte budgétaire », ce traité
européen défendu par Angela
Merkel et Nicolas Sarkozy pour
muscler l’austérité en Europe.
Finalement, la France signera
bien le pacte budgétaire – et
donc la fameuse « règle d’or »,
mais celui-ci sera accompagné
d’un « pacte de croissance »,
estimé à 130 milliards
d’euros, soit à peine 1 %
du PIB européen. À titre de
comparaison, quand Barack
Obama est arrivé au pouvoir
en pleine crise américaine,
son premier plan de relance
avoisinait les 1 000 milliards
d’euros, soit 7 % du PIB.
Il est peut-être encore un peu tôt
pour juger l’action du nouveau
Président socialiste, toutefois,
le 16 juillet, dans une interview
accordée au Monde, le ministre
de l’Économie et des Finances,
Pierre Moscovici, officialisait une
nouvelle fois « l’austérité » : « Ce
quinquennat aura deux temps :
un temps de redressement
dans la justice puis un second
temps permettant de tirer les
fruits d’une croissance plus
forte. » « Quoi ? Le rapport
de force avec Angela Merkel
est déjà terminé ? », ironise
le politologue Rémi Lefebvre,
spécialiste du PS [1].
Hommage à Jospin !
Que François Hollande ne
cesse de rendre hommage
à l’ancien Premier ministre
socialiste Lionel Jospin est sans
nul doute significatif tant la
ressemblance est frappante. En
2000, dans son essai Quand la
gauche essayait [2], le journaliste
Serge Halimi écrivait déjà :
« Au moins, en signant dès sa
prise de fonction le pacte de
stabilité européen contre lequel
il s’était prononcé quelques
semaines plus tôt, Lionel Jospin
épargna-t-il à chacun de devoir
attendre pour développer une
nouvelle fois le réquisitoire des
engagements non tenus de la
gauche. D’ailleurs, le dossier est
classé. Et l’affaire n’intéressait
personne. La gauche n’essaie
plus. » Ajoutant, quelques lignes
plus loin, d’un coup plume
cinglant : « Même dans sa
dimension la plus opportuniste
et la plus apeurée, la socialdémocratie
paraît morte. »
Ah, la social-démocratie…
Le journaliste économique
Laurent Mauduit [3] pointe les
spécificités de cette dernière
en France : « En Europe, il
y a eu des partis sociauxdémocrates
qui ont pensé
les changements du monde.
Comme le SPD allemand qui
en éliminant toute référence au
marxisme après son congrès de
Bad Godesberg de 1959, va
réfléchir à un modèle de société
que l’on appellera par la suite le
“capitalisme rhénan”, c’est-àdire
un capitalisme adossé à un
système de protection sociale
très fort. Au contraire, en France, le PS a longtemps voulu
rompre avec le capitalisme, et
le parti s’est retrouvé percuté
par la réalité en 1983. Or,
depuis, ils n’ont jamais réussi
à penser le changement.
C’est un des aspects de la
social-démocratie française… »
L’autarcie du PS
Incapable de répondre aux
difficultés économiques des
années 1980, le PS s’est
refermé sur lui-même : « C’est
un parti en autarcie », souligne
Rémi Lefebvre. Paradoxalement,
alors que ses membres les plus
droitiers ont développé depuis
trente ans un discours célébrant
l’économie de marché, ces
derniers manquent cruellement
de relais dans les milieux
économiques : « Alors que le
PS a fait son aggiornamento
depuis longtemps par rapport
aux marchés, ses responsables
se comportent comme s’ils
étaient honteux face aux
intérêts économiques, estime
Rémi Lefebvre. Résultat, ils
sont incapables de constituer
un rapport de force pour dealer
des choses avec les milieux
économiques. Le PS n’est même
pas ouvert aux entreprises les
plus dynamiques ! » Arnaud
Montebourg, ministre du
« Redressement productif », a
du pain sur la planche…
Autre difficulté, le parti est
incapable de s’ouvrir à la société
civile et aux intellectuels : « Le
PS n’a pas été au pouvoir durant
dix ans, mais son programme
ne comporte aucune innovation
majeure, s’exclame Lefebvre.
C’est logique : le parti est
coupé des économistes
hétérodoxes. Cette coupure
est la conséquence de la
technocratisation du PS. »
Exemples parmi d’autres :
l’économiste Pierre Larrouturou
– qui militait pour la semaine
de quatre jours – a toujours
été pris pour un farfelu par les
hiérarques socialistes, et si
les mêmes écoutent poliment
le spécialiste de la fiscalité
Thomas Piketty, aucune mesure
ambitieuse ne sera prise dans
ce domaine. « Les ministres
Cahuzac, Sapin, Moscovici,
sont d’ailleurs des purs
produits du virage “techno” du
PS dans les années 1990 »,
note Rémi Lefebvre.
Présidentialisation
Même diagnostic du côté de
Laurent Mauduit : « Ce parti a
une grande difficulté à sortir
de la technocratie. Le PS s’est
coulé dans le moule de la
monarchie république sans avoir
la volonté de la réformer. C’est
le lègue du néobonapartisme
façon Mitterrand. » François
Hollande, lui-même, a une
relation lointaine avec le
syndicalisme. Et les socialistes
ignorent superbement tout le
tiers secteur, et notamment
l’économie sociale et solidaire.
Parti de gouvernement, parti
d’État peu démocratique, « le
PS organise toute sa vie autour
de l’élection présidentielle.
Or la démocratie c’est créer
une dynamique, ce n’est pas
uniquement les élections »,
rappelle Laurent Mauduit.
Les préparatifs du prochain
congrès du parti, qui aura lieu en
octobre, annoncent la couleur :
une contribution commune
Aubry-Ayrault qui écrase tout
débat, au point que le ministre
Benoît Hamon hésite à déposer
une motion en octobre (bien
que son courant à la gauche du
parti ait déposé une contribution
durant l’été). « Il existe une vraie
tentation chez Hollande de
renforcer la présidentialisation
du PS, analyse le politologue,
comme Tony Blair l’avait fait
en instaurant le New Labour,
ce qui lui avait permis d’élargir
la base du vote, et de diluer
ce qui restait de radicalité
parmi les militants. »
Trois métros de retard
Mais pour l’anthropologue Alain
Bertho, « c’est tout le dispositif
partisan qui est en cause ». Pas
uniquement le PS : « Même si les
partis se réfèrent toujours à des
courants idéologiques du xixe
et du xxe siècle, ils ne sont plus
en situation d’intermédiaires et
de médiation entre la société
et l’État. À partir du xxe siècle,
les partis se créent pour capter
l’expérience populaire et la transformer en expérience de
gouvernement. C’est l’idée
qu’avec un bon programme,
on va régler les problèmes. »
Or, un siècle plus tard, tout
a changé : « Le dispositif
partisan est contraint au
mode de rationalité de l’État.
À l’évidence, les États ne
fonctionnent plus comme au
xixe et au xxe siècle, constate
Alain Bertho. Aujourd’hui, les
États gèrent la globalisation
comme l’a montré la sociologue
Saskia Sassen. Les marges de
manoeuvre sont extrêmement
faibles avec ce capitalisme
nouvelle génération. Par le
passé, les affrontements
ont permis de développer
des expertises et des idées
novatrices. Mais aujourd’hui,
une véritable rupture
nécessiterait d’introduire des
contradictions et des tensions
dans tout le dispositif mondial.
D’ailleurs, l’expertise n’est
plus du côté de l’État, elle est
du côté de la société, celle qui
s’est mobilisée, par exemple,
à travers les révolutions
arabes. »
Englués dans d’anciennes
représentations, les partis
traditionnels sont « en
retard de trois métros sur la
logique mortifère actuelle
du capitalisme financier,
critique Alain Bertho. Ils
sont incapables d’analyser
le capitalisme actuel et
d’impulser des dynamiques de
mobilisation. » Ce capitalisme
qui va à une « vitesse folle »
et qui, selon Laurent Mauduit,
oblige le PS « à courir toujours
derrière ». « Il n’existe pas
de politique de gauche sans
vision du monde, ajoute-t-il. Or
les socialistes ne savent plus
où ils habitent. Généralement,
les époques de crise génèrent
des outils intellectuels pour
surmonter les difficultés.
Mais, là, c’est le vide. » Les
socialistes gèrent mais ne
transforment rien.
La Gauche vacille
Pour Alain Bertho : « Le PS
est un parti de gouvernement
enfermé dans l’espace
étatique. L’effondrement de
l’efficacité d’un tel dispositif
l’amène tout droit à une
impasse : comment peser sur
l’État sans être pris dans ses
contraintes ? » Il y a douze ans,
Serge Halimi pointait déjà les
contradictions à l’oeuvre dans
l’espace politique français :
« Si au niveau international le
faisceau de l’indépendance
se resserre alors que, sur le
front intérieur, la faculté de
contrôle se réduit, c’est toute
l’architecture d’une gauche
jacobine qui vacille. »
Depuis le dernier gouvernement
Jospin, le temps a filé,
mais les socialistes ont prouvé
leur incapacité à faire le bilan
de leurs actions passées :
« Jospin a été le Premier ministre
qui a le plus privatisé.
Il expliquait également que
l’État ne pouvait pas tout…,
se rappelle Laurent Mauduit.
Certains projets d’Hollande
sont plus à gauche, mais nous
avons assisté depuis l’élection
à une séquence de politique
économique digne de
l’impuissance jospinienne !
Avec notamment le coup de
pouce microscopique au Smic
ou les politiques d’austérité. »
Cette « séquence » de
quelques semaines sera-telle
à l’image du reste du
quinquennat ? Rémi Lefebvre
assure de son côté que « la
situation de crise forcera le
gouvernement à proposer
des mesures ambitieuses ».
Espérons-le car sinon on
risque d’avoir Marine Le Pen
au second tour en 2017.