Samedi 10 novembre à Echirolles, lors des quatrièmes rencontres nationales des luttes de l'immigration
Accueil > Société | Par Emmanuel Riondé | 13 novembre 2012

« Racisme anti-blanc », une campagne de riposte

En octobre, le rappeur Saïdou et le sociologue Saïd Bouamama ont été mis en examen suite à une plainte de l’Agrif qui les accuse, en substance, de racisme anti-blanc. Une campagne de soutien est lancée ce jour. Avec, en ligne de mire au printemps prochain, une "tournée d’agitation/conscientisation". Prémices d’un renouveau, formel et politique, de la lutte antiraciste ?

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Dans un an, le 3 décembre 2013, la marche pour l’égalité fêtera ses trente ans. Un anniversaire qui, dans un contexte de tension sociale exacerbée où les discours racistes et islamophobes trouvent un large écho, devrait être dignement célébré par toutes les organisations issues de l’immigration en France. La "campagne durable d’insolence antiraciste" qui débute aujourd’hui pourrait bien en constituer le premier jalon.

De quoi s’agit-il ? En 2010, Saïd Bouamama, sociologue, et Saïdou, chanteur du groupe ZEP (Zone d’expression populaire), cosignent un ouvrage intitulé Nique la France – Devoir d’insolence. Le livre est accompagné d’un CD d’un titre (voir vidéo par ailleurs). Deux supports pour traiter frontalement de la question du racisme institutionnel et d’Etat auquel sont soumis les jeunes issus de l’immigration - qu’ils soient français ou pas - sur le sol hexagonal. Le ton est volontairement féroce. « La provocation est le seul moyen pour faire entendre [la] souffrance [d’]une frange de la population qui n’est pas entendue et qui n’a pas le droit à la parole » expliquait Saïd Bouamama dans un entretien récemment accordé à Daily Nord.
Les "deux Saïd" sont établis dans le Nord de la France. Bouamama est sociologue et formateur consultant à l’IFAR [1], militant associatif et politique, figure du mouvement de l’immigration en France, auteur de nombreux articles et ouvrages sur la question du racisme et l’un des fondateurs de l’Appel des indigènes de la République en 2005. Saïdou, aujourd’hui chanteur de ZEP, est membre historique du Ministère des affaires populaires (MAP) groupe de hip-hop lillois qui, en 2006, avait régénéré la scène musicale engagée avec l’album "Debout là d’dans".
En octobre dernier, deux ans après la parution de leur livre, les deux hommes ont donc été mis en examen pour « injures publiques envers une personne ou un groupe de personnes en raison de leur origine ou de leur appartenance à une etahnie, une race ou une religion ». Cette mise en examen fait suite à une plainte déposée par l’Alliance générale contre le racisme et pour le respect de l’identité française et chrétienne (Agrif), une organisation d’extrême-droite.

Comme dans le cas d’Houria Bouteldja, c’est la question du racisme anti-blanc, cher à Jean-François Copé, qui est posée dans cette affaire. Après avoir été relaxée en janvier (elle avait été attaquée en justice, également par l’Agrif, pour avoir utilisé le terme de "souchiens", lire l’entretien qu’elle avait accordé à Regards en décembre 2011), la porte-parole du Parti des Indigènes de la République (PIR), passait en appel le 15 octobre dernier à Toulouse. Le verdict tombera dans une semaine, lundi 19 novembre. « Si elle est condamnée, le soutien aux deux passera à un soutien aux trois », nous assurait Saïd Bouamama ce samedi aux 4èmes rencontres nationales des luttes de l’immigration qui se sont tenues à Echirolles dans la banlieue de Grenoble.
Des rencontres - auxquelles Regards consacrera un reportage dans le premier numéro du trimestriel en décembre - organisées par le Front Uni des immigrations et des quartiers populaires (FUIQP) durant lesquelles il a justement beaucoup été question du « racisme comme système ». C’était l’intitulé de la première table ronde qui a permis à Saïd Bouamama de rappeler que « nous savons à quel moment la thèse du racisme anti-blanc émerge : le premier à en avoir parlé, c’est Frantz Fanon et il nous dit que c’est lorsque les colonisés se révoltent contre la colonisation, quand le dominé commence à dire non, qu’apparaît cette thèse », dans le discours du colon.
« Je pose l’hypothèse, a ajouté le chercheur militant, que cette thèse ré-apparaît aujourd’hui parce que dans le comportement quotidien des jeunes des quartiers populaires, dans les réactions spontanées, immédiates, de ces jeunes, la place de dominés est refusée. On peut débattre de la manière dont ils la refusent, peut-être qu’ils ne la refusent pas avec les formes politiques que l’on voudrait mais quelque chose a bougé dans leur manière de se définir. »

100 000 signatures en février

Une hypothèse qui ouvre le débat non seulement sur les stratégies de la lutte antiraciste mais aussi sur la nature même de cette lutte. Pour Houria Bouteldja, « l’antiracisme traditionnel [français,ndlr] qui date de la fin de la deuxième guerre mondiale et a tendance à se focaliser sur l’aspect moral du racisme, la haine de l’autre » est appelé à « disparaître » au profit d’une approche s’attachant à contrer « un racisme d’Etat et un système de domination dont on ne peut pas se sortir individuellement » et qui appelle donc une riposte politique et globale.

Les débats théoriques et stratégiques sont ouverts. Et vont accompagner la campagne très concrète de soutien à Saïdou et Saïd Bouamama lancée aujourd’hui. Ses objectifs sont clairs et ambitieux : 100 villes, 100 comités d’actions, 100 000 signatures d’ici trois mois. « On souhaite, explique Saïd Bouamama, organiser mi-février une action nationale conjointe dans 100 villes de France. » Au programme : animations, prises de paroles, interventions artistiques, etc.
En attendant, dans le courant de cette semaine, une pétition de soutien va être rendue publique sur laquelle figurent des noms venus de tous les horizons politique, intellectuel, militant. Et le site internet www.devoirdinsolence.fr devrait prochainement voir le jour. Avec matériel et documents militants à disposition.

Désormais sur les rails, cette campagne "Devoir d’insolence antiraciste" est à suivre de près car elle pourrait bien être la première des initiatives qui ouvriront la route aux évènements célébrant le 30ème anniversaire de la marche de l’égalité - aka : marche des beurs. Un anniversaire dont tous les mouvements d’immigration entendent bien faire un évènement politique d’importance. Avec une radicalité renouvelée à la hauteur de la dégradation de la situation économique et sociale des populations vivants dans les quartiers populaires de France.

Le titre qui énerve l’Agrif

Notes

[1L’IFAR (Intervention Formation Action recherche) est un organisme de formations sociales : www.ifar-formations.org/

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