Regards.fr : Le Livre blanc de la défense fait état de la nécessité « d’européaniser » les accords liant la France aux pays africains. Qu’en est-il ?
Raphaël Granvaud : Depuis le rapport Quilès qui a suivi le génocide au Rwanda, trois axes sont mis en avant et réaffirmés sans cesse sur la question militaire en Afrique : la France ne doit plus intervenir de manière unilatérale : ce qui suppose donc un mandat de l’ONU ; elle ne doit plus, si possible, intervenir seule : et là, priorité est donnée aux actions européennes ; il faut enfin aider les pays africains à mettre en place et à renforcer leurs propres capacités militaires : c’est le processus Recamp. Mais ces déclarations d’intention ne correspondent pas souvent à ce qui est mis en pratique... Sur la question européenne, par exemple, les trois missions Eufor menées à ce jour, deux en République démocratique du Congo, en 2003 et 2005, et une en cours au Tchad, recèlent de nombreuses ambiguïtés et dérives, côté français : mandats aux contours obscurs, motivations parfois peu avouables, accusations de partialité dans les affrontements, etc.
Regards.fr : Que reste-t-il des accords de défense franco-africains ?
R.G. : Il en reste aujourd’hui entre six et huit. Le chiffre est flou car les sources (publications militaire et parlementaire) ne donnent jamais le même. Ces accords, dont la signature était la contrepartie aux indépendances, sont classés secret défense mais on sait que deux clauses secrètes leur sont associées : la première est celle de l’approvisionnement préférentiel qui contraint les anciennes colonies à fournir leurs matières premières stratégiques : pétrole, uranium, gaz, etc. : en priorité à l’ex-métropole, une clause qui s’est aussi appliquée à tout ce qui était marché public. La deuxième, c’est l’aide au maintien de l’ordre intérieur. Le deal est simple : vous nous réservez vos matières premières et on vous assure la conservation du pouvoir. Lors d’un discours tenu au Cap, en Afrique du Sud, en février dernier, Nicolas Sarkozy a dit qu’il s’engageait à renégocier dans la transparence ces accords datant des années 1960 et 1970. Ce serait une vraie rupture puisque cela n’a jamais été fait, mais elle ne garantirait pas pour autant la non-ingérence militaire française en Afrique... Il existe une trentaine d’accords militaires avec des pays africains qui, sous des statuts variés, vont de l’assistance matérielle à la fourniture de conseillers. Si on prend le cas de la dernière bataille à N’Djamena, en février 2008, et que l’on s’en tient à la version officielle (contredite par des journalistes du quotidien La Croix ) selon laquelle la France n’est pas intervenue, force est de constater qu’elle a quand même pu, au nom d’un simple accord de coopération militaire, sécuriser l’aéroport sur lequel Idriss Déby avait ses hélicoptères et ses mercenaires, leur permettant ainsi de décoller, aller bombarder les rebelles, revenir et se poser en toute sécurité. Sachant qu’au Tchad, c’est aussi la France qui fournit les rations, l’essence, les instructeurs, le renseignement militaire... on voit bien que même en restant dans la légalité juridique, il y a moyen d’intervenir militairement et de faire pencher la balance. Donc, c’est en termes de pratique qu’il doit y avoir une rupture. Parce qu’un texte juridique... la France ne s’est jamais embarrassée de formalisme juridique de ce point de vue.
Regards.fr : : Quelle devrait être, selon vous, la nature des relations militaires entre la France et l’Afrique ?
R.G. : Je suis favorable au retrait pur et simple de toutes les troupes françaises d’Afrique. Aucune ex-puissance coloniale ne devrait être amenée à intervenir dans ses anciennes colonies, cela limiterait grandement les risques d’ambiguïtés et de dérives. Que la France participe à des opérations de maintien de la paix de l’ONU, sous réserve d’une discussion politique sur la légitimité d’une telle intervention et dans un cadre acceptable du point de vue démocratique et des droits de l’Homme, pourquoi pas. Mais si on veut vraiment qu’il y ait rupture, il faut que la France cesse d’intervenir en Afrique.