Une virulente polémique s’est développée en quelques heures à propos de la « Une » de Regards. Celle-ci se voulait humoristique par l’utilisation, à la veille des fêtes de fin d’année, de la métaphore du repas christique pour évoquer la nécessité pour la gauche antilibérale de se réunir. Une « Une » se fait, on le sait, dans la hâte ; celle-ci a été composée au moment du « bouclage », le 15 novembre, c’est-à-dire à un moment où les collectifs ne se prononçaient pas encore et où la polémique ne s’était pas levée sur la candidature de Marie-George Buffet. Le maquettiste nous a présenté une image adaptée au format de Regards et donc ramassée, en forme circulaire. Elle se présentait sous une forme complète, avec une titraille qui masquait toute identification des personnages bibliques, sauf à rechercher volontairement l’original, ce qui n’a pas été fait. Il se trouve que ce tableau avait au moins une originalité historique : il est une des très rares sinon uniques représentations de la Cène où se tient une femme, dans les bras du Christ.
La seule discussion « politique » qui ait eu lieu à ma connaissance consistait à se demander quelle femme serait placée dans cette position originale. Il a été décidé que ce ne serait ni Marie-George ni Clémentine et le choix se porta donc sur... Rosa Luxemburg. Pour le reste, nous n’avons eu ni discussion ni même vérification. Était-ce une faute ? Au vu des résultats, sans doute. Mais il est intolérable d’y voir le fruit d’une décision délibérée et a fortiori d’anticommunisme, même inconscient. Regards est un journal de sensibilité communiste et l’assume. Nous n’avons jamais eu, à l’égard de l’espace communiste en général et du Parti communiste en particulier, la moindre attitude méprisante ou même insultante. Jamais nous n’avons fait d’un désaccord le prétexte d’un dénigrement : tous nos articles et nos images mêmes témoignent de ce respect.
J’ajoute ceci à titre personnel. Je suis un (hélas !) vieux militant communiste (heureusement !). Je me suis toujours interdit l’usage de quelque qualificatif que ce soit. Je n’emploie pas les termes de « staliniens », « d’opportunistes », de « suppôt de la bourgeoisie ou du Parti socialiste » pour désigner un communiste, quel qu’il soit. Aucun communiste n’est pour moi un ennemi, même de l’intérieur. De plus, mon amitié et mon estime pour Marie-George sont anciennes et totales, même si, dans la toute dernière période, nos points de vue n’ont pas absolument coïncidé. Que l’on puisse penser que j’ai fomenté contre elle une infamie me bouleverse, au-delà de l’humainement possible. Si le résultat de cette « Une », dans ces conditions, est apparu come blessant, à commencer pour Marie-George j’en éprouve un regret sincère. Comme directeur de Regards, je m’en excuse donc auprès d’elle, de tous mes camarades communistes et de tous nos lecteurs.
Mais je ne peux pas admettre le déchaînement que cela provoque, dont je finis par ne plus bien savoir à qui ou à quoi il profite.
Je termine par une remarque plus générale. Je sens remonter, depuis quelques jours, un climat à l’intérieur du parti que j’eusse aimé ne plus connaître. La crispation de la « citadelle assiégée », la dénonciation frénétique des « ennemis de l’intérieur » ne sont plus, ne devraient plus être de saison. Je demande donc à tous les communistes de ne pas s’engager dans cette voie. Le débat communiste ne peut pas être la guerre civile. L’incident de la « Une » de Regards incite chacun de nous, moi en premier, à une plus grande vigilance dans ces moments difficiles. Mais si nous ne retrouvons pas, tous ensemble, un minimum de sérénité, c’est tout notre avenir commun qui est compromis.