Des deux lettres que publie Regards , l’une est insultante et c’est tant pis pour l’insulteur, l’autre est utilement dérangeante. L’une est un témoignage du passé, l’autre énonce, sans vulgarité, une question qui ne peut laisser indifférent. Regards a été créé par le PCF. La société qui l’éditait n’a pu survivre à un endettement structurel, qui s’est creusé entre 1997 et 2000]] ; Regards est édité désormais par une Scop. Il n’est pas un journal communiste. Il s’inscrit ouvertement dans la gauche critique, celle qui ne se résigne pas, ni aux normes du capital, ni à celles de l’ordre social ou moral. Cette gauche inclut le communisme, mais ne se résume pas à lui. Regards , par principe, ne saurait donc être anticommuniste. Encore faut-il savoir ce qu’est l’anticommunisme. Longtemps, les communistes ont ainsi cru qu’un antistalinien ne pouvait être qu’anticommuniste. Erreur funeste : le communisme tout entier eût dû être, le plus tôt possible et le plus hautement possible, antistalinien. Qu’il ne l’ait pas été a coûté cher au communisme français et au communisme tout court. Dire une part de la vérité, est-ce être anticommuniste ? Comme chacun le sait, je suis pour ma part communiste et même « encarté ». Voilà des années que, inlassablement, je dis à mes camarades : si nous continuons comme cela nous allons dans le mur. « Pessimiste », m’ont dit quelques camarades ; « anticommuniste », ont éructé quelques ayatollahs. Le problème est que nous sommes allés dans le mur...
Les communistes se disent matérialistes. Mais il se trouve que le Congrès auquel j’ai participé a conduit sa réflexion en oubliant une dimension de la réalité : le déclin électoral, comme le déclin militant du PCF, ne s’est pas interrompu. Je ne l’ai guère vu écrit dans la presse communiste ; je l’ai donc écrit dans Regards . Ce n’est pas toute la réalité, mais c’est un pan de la réalité. Le patrimoine communiste, électoral et militant, est une richesse incomparable, fût-elle affaiblie. A force de vouloir préserver cet héritage sans y toucher, de s’échiner à le conserver, on a fini par le liquider. Le patrimoine s’étiole, le PCF ne parvient plus, malgré l’effort de ses militants, à le reproduire. C’est une perte sèche : ce que le PCF perd, aucune force à gauche n’est en état de le récupérer.
C’est vrai que ce gâchis m’est insupportable. Cessons de nous replier sur nous-mêmes, de voir dans le monde extérieur un ramassis d’anticommunistes. Partons de l’idée qu’il existe autour de nous, parfois loin de nous, des forces critiques qui ne veulent plus de ce monde-là et rêvent d’en construire un autre. Sur certains points, ils ne sont sans doute pas mieux que les communistes, sur d’autres j’ai l’impression qu’ils le sont. On prend le temps de les regarder, de les analyser, de les écouter, de les comprendre ? Ou bien on reste entre soi à se plaindre des méchants et à faire l’autopromotion des excellents que nous sommes, dans un langage qui ne sert souvent à rien, parce qu’il ne peut même pas être compris ? Regards observe, avec sympathie, tout ce qui bouge dans une gauche digne de ce nom.
J’ai la faiblesse de penser que le communisme ne retrouvera ses couleurs que dans le métissage avec toutes les sensibilités critiques. Je ne crois pas à sa disparition ; mais je redoute son inutilité s’il reste centré sur lui-même. Au Congrès qui vient de s’achever, j’ai dit que je ne participerai plus à la direction, comme je l’ai fait pendant vingt-six ans. Mais communiste je reste, non pour me replier sur une forteresse assiégée, mais pour trouver avec d’autres, communistes ou non, les moyens de mettre à bas le vieux monde de l’exploitation et de la domination des individus. Si Alain Brisson veut rester avec ceux-là seuls qui sont exactement comme lui, tant pis : je ne peux empêcher personne de se suicider. Quant à David Guéret, qu’il sache que je n’ai pas d’autre certitude que celle-ci : s’il n’y a pas de la révolution dans le communisme politique, il s’étiolera, quelle que soit la qualité humaine de ses militants. J’ai l’impression d’être certain d’une autre chose encore : que l’esprit d’alternative s’étouffera, si ses composantes restent dispersés. Et ce que je dis là ne vaut pas que pour le PCF. J’en ai autant à dire au NPA, et plus largement à tous ceux qui pensent que la gauche de gauche peut se recomposer autour d’eux.
Avec toute ma fraternité pour ceux qui n’oublient jamais que le communisme n’est pas un dogme ; et avec toute ma tristesse pour ceux qui ne doutent jamais, qui ne savent pas que l’engagement militant est un acte libre et que la liberté est incompatible avec l’aveuglement.
Roger Martelli
Paru dans Regards n°58 janvier 2009