Accueil > actu | Par Roger Martelli | 1er octobre 2005

Stop ou encore

Le ps retrouvera-t-il sa gauche ?

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La campagne référendaire avait porté à leur paroxysme les conflits internes entre socialistes. La rentrée a tempéré les ardeurs belliqueuses, mais n’a rien réglé sur le fond. Radiographie d’un socialisme en crise.

Le 29 mai 2005 a été doublement un maelström pour le Parti socialiste. Une nette majorité de ses électeurs s’est désolidarisée des choix faits en faveur du « oui » par ses militants à l’automne dernier. Et, pour la première fois depuis quelque vingt-cinq ans, les positions prises par les socialistes n’ont pas été hégémoniques dans le peuple de gauche. Les élections européennes de 2004 avaient été interprétées comme une « divine surprise » pour des socialistes harassés par le désastre de Lionel Jospin deux ans plus tôt. Le 29 mai a remis les pendules à l’heure, mais pas dans le bon sens pour le parti dominant de la gauche française.

On aurait tort de rester l’œil fixé sur l’Hexagone. Comme nous le suggérions dans la précédente livraison de Regards, c’est à l’échelle européenne que le socialisme est en question. Il y a quelques mois, le vibrionnant Tony Blair avait été réélu, mais avec une majorité bien moins confortable qu’il n’en avait jusqu’alors. Quant à Gerhard Schröder, il vient de limiter les dégâts grâce à la frénésie ultralibérale de sa concurrente de la CDU, mais il a reculé sensiblement et n’a pu empêcher l’émergence prometteuse, sur sa gauche, du tout nouveau Linkspartei. A la fin des années 1990, la « vague rose » qui déferlait sur l’Union européenne laissait entendre que le socialisme européen pouvait retrouver son équilibre, après les déboires de la charnière 1970-1980. En 1999, le congrès du Parti socialiste européen réuni à Milan se proposait, par la bouche de l’Allemand Rudolf Scharping, d’élaborer un projet ambitieux « pour créer l’Europe que nous voulons ». En fait, la demande du responsable social-démocrate n’a pas eu d’effet réel.

La propension libérale

Il est vrai que la mise au clair d’un projet socialiste partagé aurait signifié une rupture difficile à assumer, dans une Europe meurtrie par deux décennies de choix libéraux conséquents. Au moment où les socialistes européens se mettent au travail, en 1999, le curseur s’est déjà déplacé vers la droite du vieux courant socialiste. Le ton, alors, commence à être donné par le néotravaillisme de Tony Blair. A la base de son affirmation, se trouve l’idée que le socialisme ne doit plus faire de la redistribution la base de son credo. L’essentiel, dit le leader britannique, est de produire de la croissance et donc d’admettre de la « flexibilité ». L’économie n’est ni de droite ni de gauche, se plaît-il à affirmer. La compétitivité devient le maître mot, y compris du « modèle social européen ». Le socialisme est donc sommé de considérer que le desserrement des présumées « contraintes administratives » est la base de tout projet pensable. Créons de la richesse, la redistribution viendra ensuite... Version à peine modernisée du fameux « théorème de Schmidt » des années 1970 : les profits d’aujourd’hui sont les emplois de demain.

Or, à la fin des années 1990, les socialistes français : gauche plurielle oblige : ne peuvent s’engager franchement sur cette ligne de la flexibilité. Le parti de Lionel Jospin et de François Hollande veut incarner un autre socialisme que celui du Premier ministre de Sa Majesté. Il se heurte toutefois à un double problème. Tout d’abord, derrière l’opposition des mots, la réalité des politiques suivies a du mal à distinguer franchement le socialisme des deux côtés du Channel. La propension libérale est certes plus timide du côté français, mais dans les deux cas la même logique de l’empowerment semble se manifester pour ce qui est de la propriété publique : pour les socialistes européens désormais, si l’universalité de l’accès au service public implique la nécessité d’un financement public maintenu a minima, l’exigence de qualité pousserait plutôt au recours, soit à du financement privé, soit à des prestataires privés. De même, le second gouvernement Jospin n’hésite pas, lui non plus, à manifester son intérêt pour la logique sécuritaire qui est un des chevaux de bataille du pouvoir néotravailliste.

Le second problème tient à ce que le mouvement ouvrier français n’a pas connu, tout au moins avec la même violence, la défaite cuisante du syndicalisme britannique des années 1980. La lutte syndicale s’est assoupie dans ses formes les plus virulentes : la grève ; elle n’a pas disparu dans ses soubassements. Quand le « mouvement social » relève la tête, à partir de 1993-1995, il trouve à ses côtés un syndicalisme ébranlé mais pas terrassé. La thématique de la « modernisation » blairiste a ainsi du mal à se déployer, dans une gauche sociale et politique qui, pour n’être pas toujours guillerette, n’en est pas pour autant un vaste champ de ruines. La débâcle du 22 avril 2002 a sonné ainsi comme une vigoureuse alarme. Le 29 mai 2005 n’a été que la réplique du séisme précédent.

Le blairisme, décidément, a du mal à se greffer en terre française. Même le seul partisan avéré de Tony Blair, Jean-Marie Bockel, se voit contraint de se démarquer de certaines formules de son grand modèle. Il s’attache ainsi à reprendre à son compte la thématique du « socialisme libéral », mais récuse ouvertement (dans son intervention au conseil national du 17 septembre) l’idée que le socialisme puisse accepter une « société de marché ».

Sensibilités

Y a-t-il une alternative à Tony Blair ? En théorie, oui. L’aile gauche du PS : celle qui a contribué fortement à l’envolée du « non » : s’est structurée depuis quelques années dans un refus idéologique affirmé du tournant libéral amorcé en 1983-1984, notamment par... Laurent Fabius. Henri Emmanuelli et Jean-Luc Mélenchon ont plus d’une fois rompu des lances avec celui que chacun désigne comme l’authentique pendant français de Tony Blair, Dominique Strauss-Kahn. Le revirement de Fabius est d’ailleurs lui aussi le signe d’une possible inflexion socialiste. Si celui qui est longtemps apparu comme le concurrent direct de DSK en matière de « modernisation » a basculé en s’ancrant très tôt dans le « non », c’est parce que, en « animal » politique consommé, il a compris que le vent libéral était peut-être en train de tourner. Le grand retour de la préoccupation sociale (l’emploi, le logement, l’éducation, la protection), dans le discours de l’ancien Premier ministre, participe de cette sensibilité à l’air du temps.

L’idée d’un socialisme retrouvant, d’une certaine manière, quelque chose de sa fibre sociale-démocrate originelle n’a donc rien d’absurde. On la retrouve aisément dans l’invocation des « régulations économiques et sociales » de Vincent Peillon, dans la valorisation du « volontarisme et de l’optimisme de l’action collective » par Jean-Luc Mélenchon, ou dans l’appel à la « réorientation politique » d’Henri Emmanuelli. Mais la perspective d’une résurgence sociale-démocrate plus classique se heurte à quelques limites redoutables, dont l’interminable conflit des personnes n’est que la forme exacerbée.

La première limite est dans le projet. Pour l’instant, lesopposants les plus déterminés à la ligne officielle de la direction s’arc-boutent sur un projet néo-keynésien plus ou moins affirmé. Or, rien ne dit qu’un tel projet soit viable dans le contexte de la mondialisation et de la crise structurelle des régulations économico-sociales existantes. Sans doute la demande publique et les interventions étatiques peuvent-elles encore jouer un rôle non négligeable, si elles s’accompagnent de mutations radicales dans le modèle de développement, le système financier, la logique d’allocation des ressources et les modes de mobilisation sociale. Mais on ne serait plus alors dans les équilibres vertueux de la social-démocratie originelle ou de celle des grandes années de la croissance. Or, pour l’instant, rien ne dit que les socialistes voulant une rupture avec l’inflexion libérale soient en état de s’engager, avec ce niveau d’ambition, dans la voie d’une radicalité transformatrice.

A la limite du projet, ajoutons celle de la sociologie. La force de la social-démocratie historique tenait à son ancrage ouvrier et au réseau ordonné des organisations qui gravitaient autour des grands partis socialistes européens. Or le parti socialiste, en France comme ailleurs, s’est massivement déprolétarisé et « moyennisé » vers le haut. En outre, le socialisme a perdu le contact structurel avec le monde syndical et même avec la floraison des « nouveaux mouvements sociaux » qui avaient fait sa force au temps du mitterrandisme ascendant. Le PS, à certains égards, se trouve en cela dans une situation proche de celle de la SFIO à l’issue de la longue phase de participation au pouvoir, à la fin de la IVe république. Où le socialisme peut-il donc puiser les ressources d’un nouvel élan ? Aujourd’hui, le PS n’est pas sorti de ce que l’on pourrait appeler le tropisme libéral. La poussée des critiques contre l’utopie (Hollande, Lang, etc.) montre qu’il n’est pas prêt collectivement à rompre avec une logique gestionnaire de vingt années. Même certaines postures d’apparence « radicale » témoignent de la persistance de la propension libérale. Ainsi, la motion « Utopia », saluée par Martine Aubry en personne, juxtapose une critique fondamentale de l’ordre existant, nourrie d’écologisme et de « mouvementisme », et une nette tendance, pas si loin des propos de J-M Bockel, à un libéralisme politique jamais dissocié de son substrat économique originel.

Une synthèse difficile

Y a-t-il donc une alternative au blairisme ? La réponse ne saurait être tranchée. En supposant que le PS actuel surmonte sa « fabiusophobie », on peut faire l’hypothèse raisonnable que le socialisme est capable de dégager un nouveau compromis entre l’exigence de régulations non marchandes et les contraintes supposées indépassables du marché. Encore faut-il que le nouvel horizon social-démocrate soit capable de relancer à frais nouveaux la machinerie publique, de dégager des synthèses valables à l’échelle de la mondialisation et de ses immenses fractures sociales, et enfin de se couler dans les nouvelles cultures portées par le « mouvement », social et altermondialiste. L’éparpillement des opposants à la ligne majoritaire montre qu’il n’est pas si facile de formuler de telles synthèses.

On peut donc émettre aussi une hypothèse différente qui, partant de l’impossibilité de reproduire l’ancien compromis social-démocrate, met en doute la possibilité de construire des compromis viables, dans l’esprit de ce que l’on appelait naguère la « troisième voie » entre capitalisme et socialisme. Au fond, la « troisième voie » qui l’a historiquement emportée n’est ni celle du socialisme scandinave classique, ni celle du socialisme « méditerranéen » des années 1970, mais celle de la rupture introduite par Tony Blair. Auquel cas, coincé entre radicalité transformatrice et néolibéralisme, le socialisme européen n’aurait vraiment pas d’autre perspective cohérente que celle du « social-libéralisme » à l’anglo-saxonne, qui a d’ores et déjà tenté à la fois les héritiers de la social-démocratie allemande et les ex-communistes des Démocrates de gauche italiens. Mais si ce choix s’imposait structurellement, ce serait au prix d’un éloignement accéléré des couches populaires... et d’une concurrence exacerbée de la gauche du PS.

Le référendum du 29 mai et le récent exemple allemand résonnent alors comme un avertissement en écho du double risque d’une perte de substance du socialisme. Reste peut-être une troisième hypothèse : et si la gauche se recomposait autour d’autres choix que ceux nourris par l’esprit d’adaptation ? Dans ce cas, force serait de constater que la réponse n’est pas avant tout à l’intérieur du Parti socialiste lui-même, mais dans la dynamique populaire et dans le paysage général des sensibilités d’alternative.

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