JOHN PERRY. Syndicat TGWU, Grande-Bretagne, région de Londres
JOHN PERRY. Après avoir encaissé les coups du thatchérisme puis subi la gueule de bois sous Tony Blair, le syndicalisme britannique repasse à l’offensive. Ce renouveau, que balisent depuis deux ans de nombreuses grèves dures notamment dans le secteur public, est porté par une nouvelle génération de syndicalistes réputés « gauchistes ». Ces derniers se montrent soucieux de revenir à la recherche du rapport de forces avec le patronat. Ils tentent en parallèle d’organiser les nouveaux secteurs des services, où la précarité de l’emploi est dopée par une syndicalisation inexistante. C’est au cœur de cette évolution que John Perry, 38 ans, cadre régional londonien du syndicat multibranches TGWU (dit T&G), plante sa bougeotte hyperactive et son jovial mais implacable sérieux.
La nuit s’étire, il fonce rejoindre les éboueurs municipaux du quartier de Hackney. « Nous essayons de revenir à un syndicalisme classique, basé sur la lutte pour les salaires et les droits », raconte-t-il. « Et nous utilisons l’arme de la grève avec plus de confiance. Nous rappelons aux salariés leur responsabilité collective, leur répétons qu’il faut se battre car le capitalisme lui-même se montre plus offensif. » Cette attitude est d’abord le fait des jeunes syndicalistes. « La vieille garde, elle, aime mieux négocier avec les patrons que se battre aux côtés des ouvriers ! » A la réunion des éboueurs, John expose l’échec des négociations destinées à contrer les baisses de primes annoncées. Il faut aller à la grève, dit John. Deux responsables syndicaux d’organisations concurrentes prennent aussi la parole. Les réactions fusent, bruyantes. Il est finalement décidé de perturber le service pendant les fêtes et de lancer une grève totale au plus tôt en janvier. John partage un long café avec les ouvriers. Il n’est pas huit heures du matin.
« Je fais un boulot agressif, commente-t-il de nouveau au volant, entre deux conversations téléphoniques mouvementées. Il me faut souvent parler fort, remporter l’adhésion des travailleurs, rameuter les plus frileux. » Il ajoute : « cette agressivité est sans doute inscrite dans notre culture syndicale. Mais par ailleurs, la colère monte depuis l’arrivée de Tony Blair. Et les attentes des travailleurs sont élevées face au syndicat. » John tente depuis peu d’unifier tous les syndiqués de T & G travaillant pour Onyx, la « filiale déchets » de Vivendi qui se déploie en Grande-Bretagne grâce aux privatisations en chaîne des services municipaux. Justement, un responsable des ordures de Hackney, également « consultant pour Onyx », téléphone à John : il a eu vent de la réunion du matin, il finaude avec chaleur. John lui rétorque qu’il ne peut rien pour lui, sourit : « celui-là, il a déjà essayé de me faire virer ! Les relations entre patronat, politiques et responsables syndicaux sont étroites en Grande-Bretagne... »
À son bureau, John salue ses collaborateurs, consulte ses e-mails. Sur les murs, pêle-mêle, des affiches militantes, des photos de son fils, des calligrammes asiatiques, une carte géographique. La table de bureau est pleine à craquer de dossiers. John est né en Malaisie, a été adopté par des parents britanniques. Il quitte l’école à 16 ans, rejoint la mouvance gauchiste, fait un mois de prison pour avoir peinturluré un avion militaire américain posé sur le sol britannique, « un bon souvenir », rit-il. Il devient métallo, multiplie les activités syndicales. Il prend sa carte au parti communiste, qu’il a abandonné depuis, « par convenance », au profit du parti travailliste. A la fin des années 90, le trublion a gagné en charisme, il est embauché par l’atypique union locale intersyndicale du quartier populaire de Wandsworth à Londres, qui bénéficie d’un pactole lié à la commercialisation de la bière (la juteuse Workers Beer Company, née d’une initiative de solidarité avec les mineurs grévistes en 1984-85) : « nous allions retrouver les femmes salariées précaires dans les endroits où nous étions sûrs de les rencontrer : crèches, clubs périscolaires, bureau d’aide juridique. Nous parcourions les petits commerces pour en syndicaliser les vendeurs. Nous entretenions aussi des contacts avec des organisations culturelles noires. Nous nous inspirions largement du travail syndical communautaire américain. » Pourtant, malgré un ancrage actif dans la population, les obstacles se multiplient : méfiance des syndicats de branche face au dynamisme de l’union locale, méfiance de populations pauvres face à des syndicalistes assimilés parfois à des privilégiés, difficulté de faire progresser le dossier clé des transports publics faute d’associations d’usagers constituées... « L’évolution est lente », dit John, qui ne manque pas de patience. John est ensuite embauché par T & G. Il y est le seul cadre « non-blanc » de moins de quarante ans.
En voiture de nouveau, John file vers une réunion sur les transports, où il doit s’adresser aux jeunes adhérents. Il évoque par téléphone le dossier judiciaire d’un travailleur accidenté, puis reprend, intarissable. « Ma génération revient aux combats traditionnels, mais se montre aussi créative.Aujourd’hui, y compris pour des raisons de survie syndicale, il faut en effet d’urgence s’adresser aux travailleurs, souvent immigrés, jeunes ou femmes, dans les nouveaux secteurs. Et ça, nous savons le faire. Eux ont encore plus besoin de nous que les salariés des secteurs classiques où la syndicalisation approche les 100 % ! Cela veut dire aussi bouger une culture syndicale dite « de services », pourvoyeuse d’aide financière et de soutien juridique aux travailleurs syndiqués. Mais faire évoluer celle-ci vers des objectifs nouveaux nécessite des moyens financiers et une énergie difficiles parfois à libérer. »
La réunion du comité transports achoppe faute de participants suffisamment nombreux. John est mi-goguenard, mi-furieux. Il s’éclipse, part déjeuner avec un collègue proche en âge, cadre d’un syndicat concurrent. « Notre génération veut revenir à des valeurs traditionnelles, mais elle veut aussi sortir des confinements locaux, organiser des axes de réflexion et de bataille à l’échelle nationale », dit John. Et l’Europe, dans tout ça ? « Malgré notre internationalisme de principe, nous restons dans une configuration industrielle nationale classique pour nos luttes. L’Europe n’intéresse guère notre base. »