Accueil > idées/culture | Par Clémentine Autain | 1er septembre 2009

Trouble dans la démocratie (2). Thomas Coutrot : « Desserrer l’étau du pouvoir financier »

La domination du pouvoir patronal et actionnarial est l’une des premières causes du déficit démocratique. Problème : les mouvements sociaux ne contestent pas cette hégémonie et la gauche critique manque de crédibilité. Entretien.

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Où se situe, d’après vous, la solution au malaise démocratique ?

Thomas Coutrot. Il faut rouvrir la discussion sur de véritables alternatives à la domination du capital financier. Or, ce n’est pas ce qui se discute au PS ou à Europe Ecologie. C’est quand même paradoxal : en pleine crise catastrophique provoquée par les dérives du capitalisme financier, la question des primaires est au centre du débat politique ! Or, il s’agit de la procédure et non de la substance de la politique. Le PS se place sur ce terrain pour ne pas affronter la question du fond. Sur quels critères choisir entre des candidats qui, en fait, portent le même projet ?

Pourquoi les forces qui, elles, contestent le pouvoir financier, n’arrivent-elles pas à avoir plus d’écho ?

T.C. Il y a d’abord une opération extraordinaire de confiscation de ce discours par Sarkozy, qui se place en pourfendeur des banques, des spéculateurs, de la finance débridée. On dirait qu’il a lu les brochures d’Attac ! Il prétend faire la chasse au bonus, clouer traders et banquiers au pilori. Il nous explique qu’il lutte pied à pied au G20 mais que ses homologues ne veulent rien faire... Bref ! Il incarne la résistance de la France face à la dérive anglo-saxonne. Il le fait très habilement, ce qui lui redonne une certaine assise dans l’opinion. En plus, comme beaucoup de gens pensent qu’on ne peut pas faire grand-chose en France, qu’il faut absolument se coordonner sur le plan international, son discours est astucieux. C’est la magie du verbe, alors qu’il ne change rien à sa politique dans les faits. Il peut reporter la responsabilité des immobilismes sur ses partenaires étrangers. Ce n’est pas un dispositif qui peut s’éterniser mais, dans cette phase de la crise où il y a une rémission temporaire, cela lui permet de gérer la situation malgré la flambée du chômage et le retour des bonus. Au total, le discours de critique du capitalisme se banalise et Sarkozy promet d’en finir avec les abus. Les gens attendent de voir s’il va réussir à moraliser le système. En face : mais là il faudrait plus de temps pour en parler : il y a un grave problème de crédibilité des forces de la gauche critique. Les gens ne voient pas, et non sans raison, quel projet de société et quels outils de transformation celle-ci leur propose.

Dans quelle mesure les mouvements sociaux qui se déploient, notamment face aux licenciements, peuvent-ils contribuer à combler le déficit démocratique et à vivifier la gauche critique ?

T.C. Dans leurs formes actuelles, ces mouvements sont atomisés et purement défensifs voire désespérés. Les gens cherchent à monnayer la violence dont ils sont victimes, éventuellement en mimant eux-mêmes des formes de violence. Mais, pour l’instant, ces mouvements ne définissent pas de voie de sortie, ne tracent pas d’alternative. La question du pouvoir patronal et actionnarial n’est pas posée. En fait, que les salariés cherchent soit une prime, soit un repreneur, ils ne remettent pas en question le pouvoir actionnarial et les dérives de la finance qui ont amené à la situation actuelle. Par exemple, aucune de ces luttes ne pose la question de la reprise sous forme de coopérative ou d’entreprise publique. Par exemple, Heuliez a un avenir industriel : l’entreprise produit des voitures électriques : mais la question n’est pas posée. Dans aucune des luttes médiatisées, l’idée de s’affranchir du pouvoir de la finance n’est présente. Ces luttes sont radicales dans leur forme mais pas dans leurs objectifs. Cela traduit le degré de désarroi politique et idéologique dans lequel sont les mouvements sociaux et les salariés aujourd’hui. Le malaise démocratique est lié à l’hégémonie de la finance et au fait que celle-ci n’est pas vraiment contestée, ni dans la sphère politique, ni dans les luttes sociales. La crise de la démocratie vient largement du fait que l’hégémonie de la finance a restreint l’éventail des choix possibles : c’est donc en faisant reculer cette hégémonie que l’on pourra dégager des marges de manœuvre pour faire face aux urgences sociales et écologiques. Il faut desserrer l’étau du pouvoir financier qui est à l’origine du malaise démocratique.

Que pensez-vous de l’idée de primaires à gauche ?

T.C. Cette proposition est extrêmement ambiguë. D’un côté, c’est une réponse à la défiance des citoyens par rapport aux élus. Organiser une primaire, c’est un moyen de leur donner le sentiment de contrôler les appareils, ce qui est mis en avant comme avancée démocratique. Mais, plus profondément, c’est une avancée supplémentaire vers la personnalisation et la peoplisation de la vie politique, qui prend de plus en plus le dessus sur le contenu. Il n’y a plus d’élaboration collective de projet. Les militants vont choisir entre des candidats et non des programmes. Ces derniers deviennent des arguments marketing pour les candidats. C’est une conséquence supplémentaire de la logique de la Ve République. Mais l’idée marche, la primaire apparaît comme un débat vraiment pertinent, qui répond à l’irritation des citoyens face au cumul des mandats, à la confiscation de la politique par les appareils.

Propos recueillis par C.A.

Paru dans Regards , n°64, septembre 2009

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