Opposant au régime de Ben Ali, le journaliste Taoufik Ben Brik est en prison depuis octobre 2009. Sa femme Azza Zarrad était en France en janvier pour dénoncer la répression tunisienne et la complicité de l’Europe et de la France, trop molle dans ses contestations. Depuis, la situation de son mari s’est encore détériorée.
Voici ce que Taoufik Ben Brik a pu nous formuler lors de notre dernière visite de ce mercredi 3 février :« Je suis en péril. Je ne me sens pas en sécurité. Ben Ali est en train de me concocter une autre affaire. Il ne me laissera jamais quitter les murs de cette prison. Depuis que j’ai signé le PV de la condamnation à six mois de prison ferme, l’administration pénitentiaire est devenue agressive. Des codétenus de droit commun, sur instructions, me harcèlent sans cesse : on ne me laisse pas dormir le soir, on m’insulte, on me provoque. L’un d’eux s’est carrément jeté contre moi cherchant la bagarre. On a déchiré mes vêtements, renversé mon couffin... C’est de la torture psychologique « C’était l’unique texte que Taoufik Ben Brik a pu nous adresser. Nous avons été carrément chassés de la prison et n’avons même pu discuter de l’opportunité de porter sa condamnation en cassation. » C’est ainsi que se terminent les dernières nouvelles envoyées à quelques journalistes français début février par la femme de Taoufik Ben Brik, Azza Zarrad, dans un SMS plein de détresse. Jugé pour « faits de violence, outrage public aux bonnes mœurs et dégradation volontaire des biens d’autrui » sur la base d’une plainte déposée par Rym Nasraoui, une femme d’affaires de 28 ans, l’opposant Taoufik Ben Brik, 49 ans, a été condamné le 26 novembre dernier à six mois de prison. Sa peine a été confirmée en appel le 30 janvier dernier. Cette femme l’a accusé d’avoir embouti sa voiture, de l’avoir frappée et injuriée devant deux témoins, ce qu’il dément formellement preuve à l’appui. Arrêté en octobre 2009, il est aujourd’hui emprisonné à Siliania à 130 km de Tunis, dans une prison où sa santé se détériore chaque jour. En dehors des conditions de détention déplorables en Tunisie, Taoufik Ben Brik est atteint du syndrome de Cushing, maladie chronique qui lui ôte toute immunité et qui lui impose des traitements quotidiens. Soins qu’il ne reçoit évidemment pas.
UNE CHAPE DE PLOMB
Azza Zarrad, également journaliste, est donc venue en France en janvier dernier dans un ultime espoir de voir la situation de son mari s’améliorer. Elle espérait pousser les médias français à relayer son inquiétude, parler à Nicolas Sarkozy ou approcher Bernard Kouchner afin qu’une condamnation de l’attitude de Tunis soit plus explicite. En grève de la faim, elle est intervenue au Parlement européen à l’initiative d’Hélène Flautre, députée européenne Europe Ecologie, qui dénonce de manière récurrente la question des droits de l’Homme en Tunisie. Azza Zarrad est loin de s’apitoyer sur son sort lorsque nous la rencontrons, à la mi-janvier. Quand elle parle de son pays, elle rappelle aussi que « le cas de Taoufik n’est pas isolé » . D’autres journalistes sont en effet inquiétés par le régime tunisien, tel que Zouheir Makhlouf, pour avoir effectué un reportage sur l’environnement dénonçant les agissements de la Tunisie ou Fahem Boukaddour, pour avoir filmé le bassin minier de Redeyef.
Azza Zarrad décrit aussi la grave situation sociale dans le pays, rappelant le scandale de la mutinerie de Gafza (1), la censure et la chape de plomb imposée à une population ultra-contrôlée. Ce qu’elle craint aujourd’hui ? Que « Taoufik soit libéré quand il sera mourant pour être de nouveau emprisonné au moindre prétexte » . Car la pression du pouvoir, Azza Zarrad, ses deux enfants, ses proches, ils la connaissent par cœur. Le plus souvent suivis, leur courrier est intercepté, sans compter l’impossibilité d’envoyer des e-mails librement ou d’avoir des conversations téléphoniques sans écoute. « De la même manière je ne peux pas dire que nous ayons une réelle liberté de circulation. Par exemple, j’ai voulu organiser une journée de soutien à Taoufik, mais personne n’a pu accéder à mon appartement. Les rues étaient bloquées. » Sans compter les insultes dans la rue qu’Azza ne relève plus. « Il ne faut surtout pas répondre aux provocations, car ce que je crains le plus, ce serait d’être moi-même victime du même type de guet-apens que Taoufik. » De la même manière, c’est aussi l’arbitraire lors des visites à Taoufik en prison : « un pénitencier du XVIIIe siècle ». « Dès que j’aborde un sujet autre que nos enfants, la visite est interrompue. Je n’ai jamais la certitude de pouvoir le voir, de lui parler. » Quant à Taoufik, évidemment, il lui est interdit d’écrire ou de lire. « Ce qui compte le plus pour lui, écrire, voir des films, être avec ses enfants, c’est exactement ce qu’on lui a enlevé. »
DIPLOMATIE FRANçAISE MOLLE
« La Tunisie ne doit pas torturer les gens. Mais si la Tunisie est évidemment condamnable pour ce qu’elle commet envers ses citoyens, qu’en est-il de la démocratie européenne qui ferme les yeux ? » , s’interroge encore Azza. La visite de cette dernière en France et en Europe explique peut-être pourquoi Bernard Kouchner a fait part le 31 janvier dernier de son regret quant à la confirmation de la condamnation de Taoufik Ben Brik. Mais à la question de savoir si la France avait un moyen de faire pression pour obtenir la libération prochaine du journaliste, le ministre répond : « En dehors de regretter : ce que je fais : non. (...) Je suis pour la liberté de la presse, je pense qu’il faut absolument la respecter, et je m’efforce (...) de défendre cette position partout. (...) Nous avons essayé au maximum de défendre cette liberté de la presse » (2). Faible parole face au maintien en détention de Taoufik Ben Brik. Mais, comme le rappelle à chaque fois son épouse, « il est hors de question de montrer que nous avons peur. La seule arme qui nous reste, ce sont nos plumes et nos paroles. Et nous n’allons pas laisser le pays à ces gens-là. »
E.C.
Paru dans Regards n°69, février/mars 2010