Accueil > Culture | Par Thomas Bauder | 18 juillet 2012

Un film avec Lalla

Laurence Anyways retrace le parcours male to female du personnage
principal incarné par Melvil Poupaud. Un film dans la lignée
transgressive arty des films de Xavier Dolan. Notre critique maison
est allé voir le film avec Lalla, un garçon devenu femme.

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Un festival

Il y a seulement vingt ans de cela, un film relatant
une transition sexuelle, la transformation de son
héros en héroïne, aurait été placardisé dans le
circuit des festivals gays et lesbiens. Signe du
changement de réception de cette singularité
de genre c‘est à « Un Certain Regard » la section
« découverte » de la grand messe officielle que
Laurence Anyways de Xavier Dolan fût projeté.
Que le jeune (23 ans seulement) cinéaste soit
une sorte de petit prodige, remarqué dès son
premier film au titre évocateur de J’ai tué ma
mère
, et sélectionné à l’époque à la Quinzaine
des Réalisateurs, explique en partie la présence
de son film dans l’antichambre de la compétition
officielle. Mais enfin, le côté casse-gueule du sujet,
par delà le niveau de la remise en question queer
de la détermination sexuelle, ne jouait pas a priori
en faveur du film si ce n’est pour les amateurs de
cinéma freak. À l’issue de la projection de presse
force était de constater que Dolan s’était plutôt
bien tiré d’affaire, servi par un Melvil Poupaud
transformé, mais pas trop quand même, en fille :
jupe tailleur, mascara, collier de perles et tralalas.

Virtuosité

Ce qui, de prime abord, accroche le spectateur,
c’est l’aisance narrative et stylistique avec laquelle
Dolan construit son objet film. N’hésitant pas à
recourir aux grands angles, ralentis, et jump cut sur
une bande son pop langoureuse, Dolan parvient
sans trop de difficulté à sublimer son personnage,
Laurence Alia, professeur québécois de littérature
française à l’université de Montréal. Usant d’une
grande inventivité dans la composition de ses
images, mélangeant les genres visuels dans un
grand mash-up indé, développant un sens du
détail et de l’ornementation des accessoires
assez jouissif, en affublant par exemple les
doigts de Melvil Popaud de petits trombones en
guise de faux ongles, Dolan s’avère aussi doué
d’un sens de la réplique notamment dans les
échanges entre Laurence / Melvil Poupaud et sa
mère / impeccable Nathalie Baye qui lui lance
«  tu peux changer de sexe, je peux bien changer
d’adresse
 » ou encore alors que son (encore) fils
l’agace «  tu te transformes en femme ou bien en
con ?
 ». Enfin à toute cette description esthétique
il ne faudrait pas oublier l’utilisation maline des
flash-backs dans la narration de l’histoire qui
s’étend sur deux heures et quarante minutes
de film et une décennie d’existence. Bref, de
quoi rassasier les yeux, les oreilles et ce qu’il y
a entre les deux au point que la « promesse » du
film, c’est-à-dire montrer la transition sexuelle de
son/sa protagoniste principal(e) pourrait presque
apparaître in fine comme secondaire.

Regards croisés

De fait, on pourrait aussi bien ranger Laurence
Anyways
dans la case de l’histoire d’amour
passionnée entre deux êtres en rupture sociale, tant c’est la façon dont ce couple se trouve
contraint d’envisager sa transformation, son
évolution, qui structure l’ensemble du récit
filmique. Arrivé à ce point il faut tout de même
reconnaître que sur le sujet trans, et même s’il
n’est pas question ici de « valider » le film dans
sa composante transexuelle, le regard du critique
hétérosexuel de base se trouve particulièrement
démuni face à cette expérience, à chaque fois
inédite. Lalla donc.

Lalla

La dernière fois que l’on s’était vus, c’était dans
les couloirs d’une chaîne de télé à l’avant veille
d’un plan social de grande ampleur. Chroniqueur
à l’antenne des manifestations homos de
tous genres, passé par Act Up, fondateur de
l’association Gay et Lesbienne de Canal Plus,
et doté d’une moustache aussi fine que ses
lunettes, Jean Christophe était le type même du
hipster avant l’heure, zébulon gay empêcheur de
beaufiser en rond, aux colères et indignations
salvatrices. Dix ans plus tard, Jicé était devenu
Lalla, fille trans, parvenue à l’avant-dernière étape
de son parcours : la reconnaissance par la justice
de son nouvel état civil.

Forcément, le sujet de Laurence Anyways
concernait Lalla au plus haut point.
À l’issue d’une projection parisienne du film, je
retrouvais Lalla, mi-figue mi-raisin.
«  La scène de l’outing, le moment où Laurence
annonce à sa compagne Fred qu’il est une femme
au fond de lui, c’est la plus belle du film
 », me dit
elle d’emblée. « Quand Laurence lui dit : “ferme
ta gueule connasse j’ai besoin de te parler, je
meurs sinon !”, j’ai trouvé ça beau, tellement vrai,
sensible finalement.
 » Pour le reste Lalla reste
dubitative : « Ce qui me gêne dans ce film ça
n’est pas qu’elle soit moche (rires) c’est qu’elle ne
trimballe rien avec elle de généreux, qui irait vers
les autres.
 » Et puis surtout «  il y a quand même
une incongruité, qui consiste à revendiquer de
s’habiller en femme sans prêter attention aux
mots, à la langue, à l’emploi du féminin lorsqu’on parle d’elle. Comme si le fait de
s’appeler Laurence avait suffi à faire d’elle une
femme.
 » Aïe ! Ce que Lalla « reproche » au film,
c’est de ne pas lui avoir permis l’identification
avec le personnage principal, resté trop mec,
trop Melvil, avec une perruque, du maquillage et
des sapes féminines.

La pilule ne passe pas

« Tout ce qui est hormono-thérapie est
complètement balayé du film alors que c’est
essentiel dans ce qui construit un corps, une
identité, un désir.
 » Ce qui est vrai tant Xavier
Dolan a fait le choix de passer outre les étapes
médicales de la transition. Ceci étant, le focus
porté à la précarisation sociale, à la mise au
chômage dès lors que la transition démarre, la
lâcheté de l’environnement professionnel, de
l’entourage amical atténue le propos de Lalla,
focalisée sur le personnage de Laurence. Pour
les femmes trans, le regard des autres constitue
un des moments clés de leur transition. On
appelle cela le « passing ». Dolan en offre un
en ouverture de son film et puis remet ça, au
moment où Laurence fait son entrée dans les
couloirs de la fac, en femme. On peut apprécier
le moment en ce sens qu’il subvertit la scène,
topos des teen movie US, ou la bombasse
débarque au bahut et fait se retourner
l’ensemble des élèves et professeurs réunis.
Lalla, elle, préfère rattacher ce moment à une
autre scène mythique de « passing » au cinéma,
celle dans laquelle on découvre Marylin sur le
quai de la gare dans Certains l’aiment chaud,
de Billy Wilder. Bien vu Lalla. Le problème
c’est que « pas une seule fois il n’y a du désir
dans les regards
 ». Parce qu’être une femme
trans c’est le vivre en tant que rapport social,
d’être identifiée en tant que femme, « c’est
donc d’abord ressentir la manière dont les
autres te regardent en tant que femme. Bien
entendu vivre les discriminations sexistes mais
aussi, il ne faut pas l’oublier, les bénéfices
qu’il peut y avoir à être une femme dans la
société hétérocentrée
 ».

La représentation du corps

Si l’on en croit le regard de Lalla « on est là
devant un film de mec qui se persuade que pour
être une femme il suffisait d’user des quelques
artifices de la féminité qui sont le maquillage ou
la perruque
 ». Comme si, c’est vrai, Xavier Dolan
n’était pas sur ce point allé plus loin que Sydney
Pollack en 1982, travestissant Dustin Hoffman
dans Tootsie. « À force de maquiller Melvil
Poupaud de plus en plus, il finit par ressembler
à Benjamin Biolay, le pauvre ! (…) Dolan laisse
son comédien faire LE comédien, sans faire LA
comédienne.
 » Sans qu’il y ait de transition de
l’un à l’autre… « Mais tu vas voir qu’il va avoir
un César ou je ne sais quelle récompense.
Pour sa performance d’acteur, mais pas pour
sa performance d’actrice !
 »

Nobody’s Perfect

Mince. Voyant mon désappointement Lalla
trouve quand même à sauver quelques
moments bien sentis. Notamment une scène
dans laquelle on découvre un garçon trans,
vivant en couple avec sa copine lesbienne
devenue hétéro par la force des choses. Le
garçon trans dit « si on devait croire à la vérité
moi je serais né avec une bite
 ». « Eh bien là
c’est tout à fait juste
 », me dit Lalla. Finalement,
Laurence Anyways passerait donc à côté de la
transition en tant qu’expérience vécue. Reste du
film une expérimentation narrative, stylistique,
esthétique, joyeuse par moments, contribuant
malgré tout à la banalisation salutaire du
phénomène. Comme le fait dire Billy Wilder à
ses protagonistes de Certains l’aiment chaud
à la fin du film : «  Nobody’s perfect  ». Et ça,
quoiqu’on en pense, c’est déjà pas mal.

Laurence Anyways

de Xavier Dolan

En salle le 18 juillet.

Le sexe, la norme, et nous

Les jeunes sont-ils vraiment façonnés par le porno ?
Pourquoi la presse féminine a peur des lesbiennes ?
Que se passe-t-il quand on emmène un transsexuel
au cinéma ? Cet été 2012, Regards pose des questions
tordues. Et tente d’y répondre.

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