« écrivant de la poésie en dehors du temps chinois » , « amené à créer une Chine dans son royaume spirituel » ... « Je suis l’albatros tombé dans la foule d’un marché » : baudelairien dans sa fierté et vulnérable dans son exil. « Je suis » , « Je vois » , verbes essentiels, début de chaque phrase dans des poèmes définitoires et définitifs. La ferveur du rêve dans un univers dantesque, où l’on convoque les innocents et les tyrans : « Li Baï l’unique, libre comme le vent/ Refusant d’assister au banquet du département du Front/ Uni,/ S’est vu mettre au placard/ S’est nourri de nuages, abreuvé d’alcool,/ Et plongeant dans sa coupe de vin,/ S’est noyé en embrassant la lune » . Dans un autre espace du même rêve d’Enfer, « Allongé dans sa prison transparente/ Mao Zedong purge sa peine à perpétuité/ Sous les regards des visiteurs l’observant comme un singe (...) Il convoque Staline, Hodja, Ceausescu, Honecker et/ Castro/ à une réunion élargie du bureau politique/ Qui décide l’exclusion du parti de Gorbatchev » ... Au-delà de ces références, « La tâche politique du poète est de préserver ce qui est sacré dans sa langue. »
Car « Un mot peut être un monde » . Ce monde qui est aussi un cube de Rubik... En mouvement, en changement, en couleurs, à la recherche d’une unité et d’une logique. Où le poète « déambule » avec son passé et son avenir, et l’indicible difficulté de vivre le présent. Locataire a jamais vendu à une langue qu’il craint et qu’il n’oublie pas.
J.M.
Liu Hongbin, Un jour dans les jours , traduit du chinois par Guilhem Fabre, éd. Albertine, 13 euros
Paru dans Regards n°55 octobre 2008