Il est né près de Vienne, en 1920, avec un bec de lièvre. Il se fait opérer plusieurs fois. Opérations ratées. Il parle difficilement, il va à l’école quand il peut, il se trouve très laid, il tombe dans le mutisme. Il travaille quand même, il ne parle que si une fille qui l’aurait hypnotisé lui dicte ses paroles, il a des moments d’extrême violence... Il entre plusieurs fois en clinique psychiatrique, il s’y installe finalement et là... Ernst Herbeck devient l’un des grands poètes de langue allemande. Ses pairs cherchaient encore à l’époque dans le « dérèglement volontaire des sens » ce risque ultime qui éveille la poésie. Lui, il fait de la poésie comme monsieur Jourdain de la prose. Il suffit d’un bout de papier et d’un mot proposé par son médecin, Leo Navratil. Aurait-il écrit s’il n’était pas interné dans la clinique ? On touche ici au mystère même de l’écriture poétique, pour Herbeck un « hasard » « seulement passager chez l’homme » , car « la poésie, le poète n’en veut pas/vains le courage et l’habileté » . De ces séances de thérapie vont naître des centaines de poèmes où la parole avance déchirée, dans son génie schizophrène, entre gravité et légèreté, sublime de naïveté, rare, car insoumise à des cases du langage raisonnable. Passé, présent, couleurs, paysages, animaux, objets, hommes, femmes, inépuisable est la liste de mots proposés au malade. Qui, penché sur son cas, regarde le monde : « Le téléphone sonne. : La radio diffuse une marche. Opitz peint un tableau plein d’ananas. Les corneilles volent dans l’air et montent la garde de jour. » (Lettre d’Alexandre)
Que propose-t-il pour « La cigarette » ? Eh bien, elle « est un monopole et doit/être fumée. Afinqu’Elle/parte en flammes. » Ce révérencieux Elle avec majuscule... un poète a le droit d’être drôle. Même quand il est grave : « Vieillir est simplement un proces-/sus et un accès. Cela vient au fur/ et à mesure qu’on mange et boit. On/vieillit par conséquent. Beaucoup de soucis ça aide aussi. Vieillissent :/le corps et les yeux. »
De son repaire malade la phrase s’auto-produit, part en flèche pour vivre sa folie sans entrave. « le médecin tire un numéro alors/au patient met une nouvelle âme. » Sorcier...
Ernst Herbeck , 100 Poèmes , avec une préface de Leo Navratil, Harpo &, 32 ?