Accueil > N°17 - Janvier 2012 | Chronique par Arnaud Viviant | 11 janvier 2012

BHL ou les mirages de l’authenticité

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Ce ne sont pas les angles d’attaque
qui manquent pour aborder
les 600 pages de la belliqueuse
odyssée de Bernard-Henri Lévy
en Libye, narrée ici au jour le jour
et publiée au plus vite, sans recul,
et sans même attendre le point
final de cette histoire (le devenir
— islamiste ou non — d’une Libye
libérée de son tyran à Ray-Ban)
.
Pourquoi une telle précipitation,
qui ne prend même pas le temps
de chasser ses propres contradictions
 ?

Celle-ci par exemple, qui est d’importance,
car elle tient au statut même du texte et à la notion, chère au philosophe,
de Vérité. Dès la première page, BHL écrit avec
cette solennité dont il aime à enrober chacune de
ses phrases : « Dans tous les cas, je me suis fait
un devoir de rester au plus près des faits tels que
je les ai vécus. En aucun cas, je n’ai modifié quoi
que ce soit à mes sentiments, mes opinions, mes
convictions, tels qu’ils se sont succédé au fil des
mois (…) je ne touche à rien, je ne retranche rien ;
jamais je ne cède au jeu de la lucidité rétrospective
et de la réécriture de l’Histoire.
 » Bien. Sauf
qu’à l’autre bout du livre, page 547, on a le droit à
une tout autre version. L’avocat de BHL vient de
se faire cambrioler. On lui a notamment volé la clef
du coffre où il stocke, « depuis vingt-cinq ans », le
Journal de BHL. C’est un scoop, entre parenthèses.
BHL tient son Journal depuis un quart de siècle, on
serait presque pressé qu’il meure pour lire ça. Et là,
notre homme de s’emballer de façon paranoïaque :
« Cette pure chronique libyenne que je publierai
quand tout sera fini et l’autre, impubliable, et qui
lui fait pourtant contexte, sorte de livre “ caché ”ou
“ brûlé ” (…) Ce qui se passerait si quelqu’un
tombait dessus… La différence des contenus…
Les aveux qui sont dans l’autre et que j’expurge
de celui-ci…
 » Ah, bon ? Mais on pensait que rien
n’avait été retranché ? Il faudrait savoir… « Et puis,
continue BHL, la différence des styles… Le côté
soigné de cette chronique-ci, écrit — et l’autre ton
de la chronique cachée… Ce qui fait l’unité d’un
écrivain alors… S’il est le même, vraiment, quand
il se laisse aller et quand il s’apprête… Et si, par
parenthèse, c’est vraiment dans le premier cas qu’il
est le plus lui-même. Les mirages de l’authenticité…
Flaubert for ever… L’artifice au poste de commande…
Je n’ai pas beaucoup bougé sur ces sujets, depuis
trente ans…
 »

BHL a, pour ce livre, fait beaucoup de plateaux, de
radio, de télévision, mais personne n’a relevé cette
contradiction. À se demander si ces « journalistes »
lisent les livres dont ils parlent… Car celui qui écrit,
sans se moucher : « Deux maîtres, oui. Et dans
mon cas, un troisième : la Vérité
 », vient donc de
mentir deux fois : une fois sur le fond (la version que
nous lisons est contrairement à ce qu’il a annoncé,
caviardée), une fois sur la forme (elle est réécrite
alors qu’il annonçait « ne toucher à rien »). Mirages
de l’authenticité, effectivement. Artifice au poste de
commande, on ne saurait mieux dire. Il est intéressant
de noter au passage que dans le sous-titre
de son ouvrage (Journal d’un écrivain au cœur du
printemps libyen), BHL a abandonné la défroque
du philosophe à laquelle il semble d’ordinaire tant
tenir. Tout cela jette en tout cas un voile de suspicion
sur ce témoignage à la première personne (et
parfois à la troisième, quand BHL ne se sent plus).
Doit-on croire tout ce qu’il raconte ? Telle est, pour
commencer, la question embêtante que tout lecteur
de ce livre doit se poser.

À la gloire de Sarkozy

Revenons maintenant à notre interrogation de
départ : pourquoi tant de précipitation ? Il y a de
fortes chances que la réponse soit politique. Car,
de bout en bout, La Guerre sans l’aimer peut se
lire comme une histoire d’amour : celle qui se tisse
au jour le jour entre BHL et Sarkozy. Évidemment,
nous ne disposons ici que d’un seul point de vue,
celui du séduit. Celui qui, au début, décrit Sarko
comme «  un adversaire, évidemment. Un homme
pour qui je n’ai pas voté, et ne voterai pas l’an prochain

 ». Sans nier toutefois l’amitié : Neuilly, tout
ça… Mais le ton va vite changer. Et si on peut lire
ces jours-ci un livre à la gloire de Sarkozy, et ce d’autant plus que BHL n’est pas
réputé pour partager la sienne,
c’est bien celui-ci. En témoigne,
parmi tant d’autres, ce passage.
Lors d’une réunion, BHL observe
Sarkozy. Et il écrit : « Je me surprends,
en l’observant, à voir défiler,
sur le théâtre de ce visage,
les masques successifs dont je
l’ai vu s’affubler depuis le temps
que je le connais et qui résument
sa biographie (le jeune loup de
1983, le chiraquien mimétique, le
dauphin du balladurisme, le loup
défait des européennes de 1994,
le conquérant de 2007) — et puis
là, tout à coup, au bout de ses
images qui glissent comme un
livre de vie, cet air de détermination
nouveau dont je ne suis pas
sûr qu’il soit un masque.
 » C’est
beau, non ? Évidemment, c’est un
peu apprêté. Pour le coup, on se
dit qu’on aimerait bien lire la version
de ce passage dans le Journal
de BHL que son avocat garde
au coffre.
Cette fichue Vérité…

En janvier, Arnaud Viviant a lu...

La guerre
sans l’aimer

de Bernard-
Henry Levy

éd. Grasset,
640 p.,
22 €.

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