Accueil > N°18 - Février 2012 | Chronique par Arnaud Viviant | 25 février 2012

Cocos rotatifs, H.G. Wells et Paul Nizan

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Cocos rotatifs

Après un pondéreux
Foucault,
Deleuze, Althusser
& Marx
aux
éditions Démopolis,
la philosophe Isabelle Garo
signe cette fois un minuscule
livre objet : Consignes pour un
communisme du XXIe siècle
. Ce
n’est rien de dire que ce livre,
conçu avec la graphiste Elena
Vieillard, allie le fond et la forme
puisque ce « manuel rotatif » est
le premier livre qui « tourne à
gauche
 », c’est-à-dire qui se lit
avec une rotation à gauche pour
chaque page. On vous laisse
découvrir comment, mais disons que c’est pour le moins ingénieux. Avec un tel titre, le texte lui-même tourne à gauche mais il n’empêche
qu’il est adroit. Parodiant la prose technique
des modes d’emploi, il remplit sa fonction fictionnelle
 : expliciter les conditions de montage d’un
communisme actuel. Exemple : « Se rappeler qu’à
plusieurs reprises, au cours du passé, ce dispositif
a produit des résultats prometteurs
 », et ce malgré
« la grande fragilité de l’ensemble ». Ou : «  Admettre
l’intelligence extrême de l’adversaire. Concéder sa
fascinante élégance dans la domination. S’incliner
devant l’extorsion rusée et incessante de la plus-value.
Avoir ses peurs et ses doutes.
 » Et encore :
« En cas d’urgence, saisir la poignée rouge et tirer
sèchement vers le bas. En principe, tout vient.
 »
Une assez bonne description de ce qui nous
reste à faire.

Un socialiste anglais

Je ne connaissais rien de H.G. Wells
avant de me plonger dans la biographie
romancée que lui consacre
le romancier britannique David
Lodge, sinon qu’adolescent j’avais
lu La Guerre des mondes et L’Île
du Docteur Moreau
, comme tout
le monde. Si je parle ici de cette lecture, c’est que
j’ai pris acte que le père de la science-fiction britannique,
son Jules Verne, se doublait d’un socialiste
anglais et d’un utopiste prodigieux qui, loin d’en
faire un fromage, mettait la littérature au service de
ses très nombreuses idées. La première d’entre elles, sur laquelle Lodge met le plus l’accent pour
satisfaire ses fans émoustillés, c’est l’amour libre, le
sexe comme « sport et passe-temps » pour reprendre
la jolie formule de l’écrivain James Salter. Toujours
bon à rappeler alors que le puritanisme ne cesse de
repousser un peu partout comme du chiendent, et
que les communistes, qui n’ont toujours pas digéré
Roger Vailland, continuent d’abhorrer aujourd’hui encore
le libertinage. Mais Wells était surtout un homme
qui rêvait à l’orée du XXe siècle d’une gouvernance
mondiale (il militera pendant la Seconde Guerre
mondiale pour la création d’une Société des nations),
bien persuadé qu’il était à la portée de l’humanité de
venir à bout de la pauvreté et de la maladie. Extraites
de Une utopie moderne (1905), certaines des formules
de Wells citées par Lodge, continuent de faire
sens plus d’un siècle plus tard. Celle-ci par exemple :
« La science, servante trop compétente de maîtres
inéduqués et querelleurs, offre des ressources, des
moyens, et des remèdes qu’ils sont trop stupides
pour mettre à profit.
 » Wells avait été surnommé
par la presse « l’homme qui a inventé demain ». Et
effectivement ! Non content d’avoir prophétisé les
chars d’assaut, les bombardements aériens et la
bombe atomique, on découvrira dans le roman de
Lodge qu’il a aussi inventé Wikipédia ! « J’ai essayé
d’intéresser les éditeurs à l’idée d’une encyclopédie qui
engloberait toute la connaissance, mais les difficultés
de droits étaient trop nombreuses. Mon idée
était qu’ils devaient être libres. J’imaginais une Société
internationale de l’encyclopédie, qui conserverait et
mettrait continuellement à jour sur microfilm toutes
données de connaissance humaine vérifiable et les
rendrait universellement accessibles — une toile
d’information à l’échelle mondiale.
 »

Pauvre de lui !

Nizan n’a jamais eu
de chance. En tout
cas, on ne laissera
personne dire
qu’il en a eu. Mort
en 1940 dans la
poche de Dunkerque
à la fleur de
l’âge, victime d’un « procès stalinien
par contumace
 » de la part
du PC selon la belle expression
de Pierre-Frédéric Charpentier,
sa dépouille est aujourd’hui
encore mordue par les chiens
de garde de l’anti-stalinement
correct. Et la guigne continue.
Si elle a le mérite d’exister, la
biographie que lui consacre
aujourd’hui Yves Bruin est loin
d’être celle dont nous aurions
rêvé. Pâteusement écrite,
survolant à gros traits étonnés
les changements subits de
cap de l’homme, elle manque
de la chair et de l’empathie
nécessaires pour comprendre
et rendre un personnage complexé
peut-être, complexe à coup
sûr, dans une époque qui l’était
beaucoup plus encore.

En février, Arnaud Viviant a lu...

Consignes pour un communisme du XXIe siècle

de Isabelle Garo et Elena Vieillard

éd. La Ville brûle, 22p., 10 €.

Un homme de tempérament

de David Lodge

éd. Rivages, 706 p., 24,50 €.

Paul Nizan. Une révolution
éphémère

d’ Yves Buin

éd. Denoël, 346 p., 23 €.

Portfolio

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