Après quarante ans de bons et loyaux services, Johnny Hallyday a décidé de dénoncer le contrat qui l’unissait à sa maison de disque, Universal, dont il a généré l’année dernière à lui seul 5 % du chiffre d’affaires en France. Il ira devant les prud’hommes comme un simple employé ou ouvrier, richissime certes, mais simple ouvrier au regard de ses contrats. Un beau procès à suivre, car il illustrera sans doute avec quelle rapacité les firmes dévorent jusqu’aux voix qui les nourrissent. Depuis quarante ans, le naïf Johnny, le populaire Johnny qui préfèrera toujours aller faire de la Harley avec des potes, se marier et divorcer - histoire de sortir de temps en temps la Harley blanche et de temps en temps la Harley noire - que gérer ses propres affaires, était uni par un simple contrat d’artiste à ses employeurs. En somme, il chantait, on le payait pour ça, un point c’est tout. Johnny n’est ni l’auteur ni le compositeur de ses chansons, il en est juste l’interprète, avec le mélange de force et de désinvolture que l’on sait.
A l’époque où Johnny a signé ce contrat, il n’était encore qu’une vedette, un artiste effectivement, mais dans un sens très différent d’aujourd’hui, moins lié à l’art, surtout avec une majuscule, qu’à la représentation, sens qu’a eu ce mot jusque dans les années 60. Or, aujourd’hui, Johnny est un monument, une star. « Une bête nationale, un 14-Juillet », rigolait récemment son collègue Dick Rivers.
S’il n’est pas l’auteur de ses chansons, il est en revanche l’auteur de quelque chose de bien plus fort que ses chansons : lui-même. Ce qu’il est devenu dans l’imaginaire français avec le temps, cette image à la fois changeante et persistante de nous-mêmes, le peuple français, bon an mal an, depuis cinquante ans. Il a chanté à la fête de l’Huma et il a chanté pour Chirac. Il a tourné avec Godard et il a tourné avec des cons. C’est un honneur (et une grosse rentrée d’argent) d’écrire pour Johnny : même Françoise Sagan l’a fait. Seulement voilà : avec son contrat d’artiste datant de Mathusalem, Johnny Hallyday ne pouvait pas toucher de droit d’auteur sur lui-même, et l’on pourrait presque dire qu’Universal l’employait depuis quarante ans à être Johnny, ce qu’il fait mieux que personne. On l’a bien sûr augmenté au fil de sa réussite, mais on s’est bien gardé de briser ce contrat d’artiste qui empêchait Johnny de toucher certains droits sur ses disques, et notamment, ce qui rapporte beaucoup d’argent, d’être son propre producteur.
Johnny était certainement mal conseillé. Selon des informations parues dans le Journal du dimanche (10/01/04), ce serait la belle-famille de « l’artiste » qui aurait plongé le nez dans ses contrats et découvert le pot aux roses. Elle aurait immédiatement sacqué l’avocat qui s’occupait depuis quinze ans des affaires de Johnny. Il faut dire que garder le même avocat pendant quinze ans, quand on est riche comme Crésus, c’est une faute professionnelle grave. Un truc à se faire licencier, ni vu ni connu, de sa propre enveloppe charnelle...
Vous le connaissez, Johnny : toujours un peu fâché avec la loi et avec les chiffres. Son nom a aussi souvent traîné dans les pages des faits divers que dans les pages « Culture » (c’est même assez récent, dans les pages « Culture » des journaux bien). Alors vous pensez bien qu’aller fourrer son nez dans les contrats, ce n’est pas son genre. C’est un prolo, Johnny. Jusqu’à cette rupture de contrat, il était simplement l’ouvrier le plus riche de France. L’employé milliardaire. Le meilleur employé, le stakhanoviste absolu, depuis quarante ans - mais relisez vos contrats, Johnny, employé, ou ouvrier, comme vous voudrez. Un ouvrier qui a, cette fois, décidé de se libérer de ses chaînes, et devra lutter contre ses puissants patrons et leur cohorte noire d’avocats stipendiés. Qu’il sache que nous sommes avec lui. A.V.