Chic Corée
Cette première traduction française
d’un roman nord-coréen est
bien plus qu’une curiosité : elle
lève un voile sur le pays le plus
claquemuré du monde. Dans une
excellente préface, dénuée de ce
manichéisme hautain qu’on utilise
d’ordinaire pour s’exprimer au
sujet de la République démocratique
populaire de Corée, l’éditeur
et traducteur Patrick Maurus
explique que Baek Nam-Ryong,
ancien ouvrier devenu écrivain,
appartient au mouvement littéraire
du 15 avril qui « prône
moins d’héroïsme et plus de réalisme
dans les Lettres » (cependant
qu’en poésie, le mot d’ordre
est le très poétique « L’armée d’abord ! »). Dans ce roman édifiant, où l’art est
bien sûr au service de l’État, il est question de divorce.
Car oui, on peut divorcer en Corée du Nord,
même si cela a tout d’une faute morale. Une ex-ouvrière
devenue soprano (personnage dans lequel
Baek Nam-Ryong s’est sans doute le plus projeté)
veut quitter son mari, un ouvrier totalement accaparé
par l’invention d’une nouvelle machine qui augmenterait
la productivité de son usine. Aurait-elle
honte de lui ? Ou sont-ce leurs rythmes de vie qui
ne s’accordent plus ? Elle, toujours en tournée, lui
plongé dans son invention qui patine, faute d’avoir
étudié à l’université. Tout le roman exprime le même
dilemme : comment se sacrifier à son travail et, en
même temps, bien s’occuper de sa femme ou de
son mari, de ses enfants ? C’est la contradiction
interne entre vie privée et vie sociale qui est ainsi
exprimée, de façon beaucoup moins naïve qu’il n’y
paraît. La dernière phrase du roman « Une famille
où règne l’amour est un monde beau où grandit
l’avenir » forge une finalité dont tout le roman a
néanmoins raconté la négation au jour le jour, avec
le plus grand des réalismes. Et dans cette prose
purement socialiste, quelque esprit malin pourrait
reconnaître bien des tourments du capitalisme.
Le guide du Führer
Ranuccio Bianchi Bandinelli aurait pu être un
héros. Les raisons pour lesquelles il ne l’est pas
devenu et qu’il expose « le rouge au front » dans
ce petit livre (en réalité, la traduction d’un chapitre
de son Journal sobrement intitulé Mémoires d’un
bourgeois) méritent donc d’être connues. Voilà la petite histoire : en 1938, ce Florentin germanophone,
professeur émérite d’archéologie et d’art
antique, est réquisitionné par le gouvernement de
Mussolini pour servir de guide à Hitler dans ses
visites des musées de Rome et de Florence. Politiquement,
Bandinelli se décrit à l’époque comme
« un antifasciste théorique, sans directive politique,
sans conviction précise, sans programme ». Nul ne
se méfiant de lui, la police n’enquêtant pas même
à son sujet, il se rend bien compte que c’est l’occasion
rêvée d’un attentat qui liquiderait d’un seul
coup d’un seul les deux dictateurs, d’autant plus
que l’amorce de la Seconde Guerre mondiale est
déjà palpable, audible. La nuit, le professeur dort
mal. Il caresse cette ténébreuse chimère, tout en
accumulant les raisons de ne pas passer à l’action.
Mieux, il finit par avouer : « Du jour où je m’assis
sur le strapontin à côté de ces deux personnages,
aucun de mes desseins, aucune de mes élucubrations
ne m’effleura plus. »
Bandinelli va donc passer une semaine à faire le
guide pour le Führer (mais aussi pour Goebbels,
Ribbentrop, Himmler et Hess, tout l’état-major nazi,
sauf Göring demeuré à Berlin) et le Duce. Le professeur
prend des notes. Son portrait d’Hitler ?
Étonnant : « Une mise digne, soignée ; presque
modeste. Frisant la servilité. Une personnalité à
l’aspect subalterne, type contrôleur de tram. » Il est
moins tendre pour Mussolini et sa « démarche de
pantin ». L’artiste raté en Hitler est évidemment aux
anges. C’est son premier voyage en Italie, celui qu’il
n’a jamais pu s’offrir, et le voilà accueilli par des
foules en liesse. Mussolini s’ennuie tandis qu’Hitler
évoque l’Atlantide (avec l’air d’y croire), ressasse sa
haine du bolchevisme et du christianisme en tant
que première vague bolchevique à avoir déferlé
sur l’Europe. Et devant le Colisée, note Bandinelli,
il émet l’idée « qu’il faudrait le reconstruire
et l’utiliser, mais qu’aujourd’hui,
hélas, il fallait tenir
compte des finances publiques ».
L’Empire du signe
C’est l’époque des « beaux
livres », mais voici sans doute l’un
des plus originaux : Tricolores, une
histoire visuelle de la droite et de
l’extrême droite, publié, qu’on se
rassure, par un éditeur des plus
à gauche… Si depuis 1968 les
livres abondent sur l’art de l’affiche
à gauche, personne à notre
connaissance ne s’était sérieusement
penché sur leur contraire.
C’est fait. Zvonimir Novak, graphiste
et collectionneur, éminent
connaisseur des codes visuels,
raconte cette histoire qui va du
boulangisme jusqu’à Dieudonné.
De quoi vérifier, en tout cas, que la
droite a toujours moins bien
dessiné que la gauche, même
si elle n’a pas toujours manqué
d’imagination…