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Nous sommes à Cannes, dans le spectacle ininterrompu du festival de Cannes. Jean-Luc Godard ronchonne sous les sunlights. Il se demande comment il a pu faire 104 films dans sa vie, dont seulement 4 qui ont marché. On imagine qu’il connaît la réponse, mais il se la réserve. Dans l’univers compétitif de la culture contemporaine, Notre musique, le film qu’il présente cette année, est hors compétition.

Sinon, le déclin de l’empire américain marque le grand retour du « péplum » : des jeux télé et du pain de mie industriel, voilà donc le monde de demain, jusqu’à après-demain. Spartacus médiatiques, Michael Moore et José Bové se serrent la main devant une forêt de caméras, comme le font aussi parfois Tony Blair et George Bush. C’est le revers de la médaille. Ils auraient dû le faire en présence du réalisateur Nanni Moretti, le cinéaste le plus communiste de ces vingt dernières années, mais celui-ci a raté son avion. Son passeport étant périmé, les douaniers italiens lui ont refusé le passage. Preuve que les films circulent toujours mieux que les personnes, dans cette vieille Europe élargie, pour laquelle on nous demande de voter sans barguigner, en l’absence de tout programme des uns et des autres, les yeux fermés. Nous le ferons par civisme. Des gens sont morts pour conquérir ainsi le droit de voter à l’aveuglette.

Nous sommes à Cannes, dans le ballet des stars déréglé par intermittence par les intermittents du spectacle en continu sur toutes les chaînes, dans le monde entier. Le ministre de la Culture, un politique habile quand son prédécesseur était un habile mondain, M. Renaud Donnedieu de Vabres, surnommé DVD (le seul produit culturel qui se vende bien actuellement, ça tombe parfaitement) est sur tous les fronts pour éteindre le conflit, et sauver les festivals de l’été, à commencer par celui-ci. Le voici, par exemple, en train de lire aux patrons des studios hollywoodiens venus dîner au Carlton pour lutter contre la piraterie, un message du président de la République, M. Jacques Chirac (un habile politique quand son prédécesseur était un politique habile). Et Jacques Chirac dit : « le vol des films, le vol des musiques n’est pas tolérable. Il est temps que chacun prenne conscience que derrière ces fichiers, ces cassettes, ces disques copiés, parfois volés, ce sont des artistes, des créateurs, des femmes et des hommes qui ont pris des risques, qui ont consacré plusieurs années de leur vie à concevoir des œuvres, à les enregistrer, à les incarner, à qui on vole leurs droits, leur rémunération et plus encore leur dignité. »

Jack Valenti, le patron de la Motion Picture Assocation, qui regroupe les grands studios hollywoodiens, applaudit. De même qu’Alexandra Kerry, 30 ans, la fille du futur président des Etats-Unis, laquelle est à Cannes parce qu’elle veut être cinéaste. Elle a raison. Hormis ce petit problème de piraterie que l’on va régler scientifiquement en mettant tout le monde en prison, c’est un métier digne où une femme de trente ans « très grande, mince, les cheveux longs, (...) vêtue d’une robe rouge fluide, d’une ample veste blanche et de sandales élégantes » (Le Monde) comme elle, s’épanouira.

Quant aux intermittents du spectacle, ne vous inquiétez pas, on est en train de trouver une solution qui arrange tout le monde : le consommateur va payer. DVD l’a dit : « Dans cette conjoncture très particulière », il faut « que tous les Français qui ne sont pas directement concernés par les métiers culturels ou les professions artistiques comprennent la nécessité et la légitimité de soutien aux artistes et aux techniciens du spectacle » . On prévoit une taxe sur les billetteries de spectacle pour renflouer le régime. Le cinéma encore plus cher, les concerts encore plus chers. Moins de gens encore pourront y aller. Pas grave. Le spectacle en continu doit continuer avec ses intermittents. A.V.