Le Mormon qui monte
Il n’y a pas que
les élections françaises
dans la
vie, il y a aussi les
américaines. Et
voici une biographie
qui tombe
à pic, celle de Mitt Romney
qui semble, à l’heure où nous
écrivons, assez bien parti pour
remporter la primaire des républicains
et affronter Obama en
novembre. En lisant L’Amérique
de Mitt Romney, on saura tout de
cet entrepreneur qui a fait fortune
en redressant de nombreuses
grosses boîtes (Toys’R Us, Burger
King…) au prix, bien sûr, de
licenciements massifs ; qui a pris
une envergure nationale en sauvant
les Jeux Olympiques d’hiver
de Salt Lake City de 2002, puis
qui s’est fait élire gouverneur du Massachussetts, l’État le plus à gauche d’Amérique.
Tel que le présente Soufian Alsabbagh,
l’auteur de cette biographie, Romney est de fait un
républicain modéré, qui a créé dans son État un
système de couverture médicale dont s’inspirera
d’ailleurs Obama. Certes, sous l’influence
des Tea Party, la frange la plus conservatrice des
républicains, Romney a du raidir ses positions, afin
d’emporter ces primaires de 2012 qu’il avait perdues
en 2008. Cette girouette politique n’a qu’un
seul défaut : il est Mormon. À vingt ans, il a passé
deux ans en France à tenter d’évangéliser… Il parle
donc notre langue (tout en étant francophobe).
Les Mormons, même s’ils ne sont plus polygames,
continuent d’être perçus comme une secte par une
majorité d’Américains. Voilà qui pourrait être une
chance pour Obama qui, pas plus que Sarkozy, n’a
réussi à endiguer le chômage dans son pays.
Trotsky Junior
Trotsky a eu deux fils : l’aîné était son
portrait craché (il se prénommait
aussi Léon), il mourra trois ans avant
son père, assassiné par la police de
Staline à Paris, dans des conditions rocambolesques
que narre ici fort bien Jean-Jacques Marie. Mais c’est
principalement au fils cadet de Trotsky, « le fils oublié
», que s’intéresse ce livre. Serge ne s’intéressait
pas du tout à la politique, il ne jugea donc pas bon de
suivre sa famille en exil, et demeura à Moscou. Tel que
nous le décrit l’auteur, c’était un doux rêveur (il avait
été acrobate dans un cirque) devenu spécialiste des
moteurs à gaz. Après l’assassinat de Kirov en 1938, lorsque débuta la première grande purge stalinienne,
sur laquelle Jean-Jacques Marie offre un éclairage
politique qui n’est pas l’aspect le moins intéressant
de son ouvrage, Serge est simplement assignée à
résidence dans une lointaine bourgade sibérienne.
Las ! Il vient de tomber amoureux, d’un amour absolu,
et plus que des conditions précaires dans lesquelles
il se trouve, c’est de l’éloignement de sa fiancée dont
il souffre le plus. Mais la folie haineuse de Staline
monte d’un cran : alors que Serge vient de trouver du
travail, que son amoureuse l’a rejoint en Sibérie pour
immédiatement tomber enceinte de lui, il est accusé
d’un attentat fictif contre les ouvriers de son usine.
Cette fois, c’est le goulag. Serge y mourra sans jamais
trahir son père, lequel est réfugié au Mexique et
ignore tout de son sort. Mais la vengeance de Staline
ne s’arrêtera pas là. Le nom de Trotsky est maudit
jusqu’à la chute de l’Union soviétique, et selon Jean-
Jacques Marie, il continue de l’être dans la Russie
d’aujourd’hui « où nationalistes et orthodoxes russes
dénoncent en lui l’incarnation ou le chef historique
du complot judéo-maçonnique mondial acharné à
détruire la Russie au compte du capital juif américain. » Grand livre.
Faire la peau au roman
On termine en disant un mot du
meilleur roman, et de loin, que vous
pourriez lire en ce moment : Journal d’un corps
de Daniel Pennac. En livrant le journal intime d’un
corps de 12 ans jusqu’à sa mort à l’âge de 87
ans, l’auteur de la série des Malaussène
fait la peau du roman,
de l’autofiction, qu’il retourne
en passant du « moi » au « ça ».
Mais ce qui pourrait n’être qu’un
exercice de style talentueux ou le
royaume de la surface, se révèle
beaucoup plus profond. Quoi
de plus politique en effet que le
corps ? Certes, mai 1968 est
ici traité en une seule phrase,
puisque le social est banni,
mais la voici, cette phrase : « La
rue serait-elle en train d’écrire
le journal du corps ? » Ce qu’on
pourrait là aussi renverser : Le
Journal d’un corps de Daniel
Pennac n’écrirait-il pas la rue,
mieux que n’importe quel livre
que l’on nous dit « sociétal » ? Le
narrateur fait d’ailleurs plusieurs
fois allusion à la notion de « corps
collectif ». Mais là où Pennac se
révèle le plus politique, c’est sur
l’identité de son narrateur. Par
définition, on sait peu de choses
de lui : il signe des contrats, rencontre
des ministres. Puis, retraité,
il donne des conférences à
l’étranger. Ce n’est qu’à la toute
fin du roman que la silhouette se
distingue un peu mieux. Et elle
ressemble à celle d’un grand
homme de gauche, âgé, mais
bien vivant, lui…