Les femmes en 2011, c’est un peu comme les questions
d’environnement en 2010 : « ça commence
à bien faire ! » Nicolas Sarkozy a en effet saisi l’occasion
du 8 mars pour s’en prendre à la Journée
internationale des femmes : « C’est sympathique,
il faut le faire, enfin parfois il faudrait qu’on se concentre sur
l’essentiel. » Et d’ironiser sur ce qu’il préfère appeler, d’un terme
désuet, « la journée de la femme » : « Il y aurait beaucoup à dire
parce que ça voudrait dire que les autres, c’est des journées
des hommes alors ? Très curieux quand même comme système.
Franchement. » Au fond, la question féministe serait dépassée :
« Aujourd’hui d’ailleurs, la vie des femmes ressemble à la vie
des hommes. »
Le même jour, une députée UMP faisait scandale en déclarant :
« Il n’est pas normal qu’on ne rassure pas les Français aussi sur
toutes les populations qui viennent de la Méditerranée : après
tout, remettons-les dans les bateaux ! » Chantal Brunel braconnait
explicitement sur les terres du Front national. N’oublions pas,
cependant, que l’ancienne porte-parole de l’UMP est désormais
rapporteur général de l’Observatoire de la parité – ses propos
y ont d’ailleurs provoqué une crise. Et c’est justement le 8 mars
qu’elle choisit de parler ainsi des réfugiés.
Quel rapport entre la cause des femmes et le « problème de
l’immigration » ? Les phrases qui précèdent sont éclairantes :
« Il n’est pas normal que, dans les cités, il y ait des caïds qui
imposent leur loi. Il n’est pas normal qu’il y ait une fraude aux
prestations sur laquelle on ne lutte pas, les Français ne le
supportent plus. Il n’est pas normal que sur la polygamie on
n’avance pas. » Ici, Chantal Brunel fait peut-être écho à La cité
du mâle, le documentaire controversé qu’Arte consacrait en
septembre aux violences sexistes dans les banlieues, et sûrement
aux attaques de Brice Hortefeux qui, en avril 2010, menaçait
de déchéance de nationalité l’époux d’une femme en niqab,
soupçonné de fraude aux allocations familiales pour cause de
polygamie.
En tout cas, cette députée dit la vérité du « féminisme
» que revendique la droite populiste.
Depuis le 11 septembre 2001, et surtout depuis
le rejet du Traité constitutionnel européen en
France et aux Pays-Bas, en 2005, la « démocratie
sexuelle » n’est pour les nouveaux « nationalismes
sexuels » européens qu’un prétexte
pour parler encore et toujours d’immigration et
d’identité nationale. En 2007, en réponse aux accusations
de xénophobie et de racisme, Nicolas
Sarkozy ne disait pas autre chose pour justifier
en termes républicains la création de ce ministère
: « Chez nous, les femmes sont libres… »
Bref, le féminisme servait jusqu’à présent à distinguer
la droite de l’extrême droite.
Aujourd’hui, Nicolas Sarkozy semble renoncer à
la caution de la « démocratie sexuelle ». Or c’est
juste au moment où Marine Le Pen vient de la
reprendre à son compte. Celle-ci déclarait en
effet, le 10 décembre : « Dans certains quartiers,
il ne fait pas bon être femme, ni homosexuel,
ni juif, ni même français ou blanc. » D’un côté,
le Front national se porte ainsi sur le terrain de
la majorité présidentielle. De l’autre, celle-ci flirte
avec l’extrême droite : songeons aux déclarations
du nouveau ministre de l’Intérieur, Claude
Guéant, le 17 mars : « Les Français, à force d’immigration
incontrôlée, ont parfois le sentiment
de ne plus être chez eux. »
La concurrence débouche donc sur une convergence.
Mais il y a pire : ne voit-on pas s’esquisser
un chassé-croisé entre la droite et l’extrême
droite ? Celle-ci joue déjà à doubler celle-là sur
sa gauche, en colorant sa xénophobie d’un populisme
économique – terrain sur lequel Nicolas
Sarkozy ne peut guère se risquer. Marine Le Pen
ne va-t-elle pas jusqu’à préconiser, pour séduire
les classes populaires, « un rééquilibrage entre
la taxation du travail et du capital, au bénéfice
du travail » ?
Et si, en retour, l’UMP allait doubler le Front national
sur sa droite ? On sait que Marine Le Pen
entend rompre avec l’antisémitisme du « FN de
papa ». De fait, après avoir déclaré dans Le Point
du 3 février, à propos des « camps », que « ce qui
s’y est passé est le summum de la barbarie », elle
a reçu une invitation de Radio J. « Un tabou est-il
tombé ? » Il est vrai que l’émission du 13 mars allait-
elle être annulée, devant les pressions de la
communauté juive dont ce média se veut la voix.
La présidente du Front national pouvait toutefois
riposter à cette censure en dénonçant à son tour
des « comportements fascistes »…
Or c’est dans les mêmes semaines que se déclenche
l’offensive de la majorité UMP contre
Dominique Strauss-Kahn, rival potentiel de Nicolas
Sarkozy en 2012. C’est justement sur Radio
J que Christian Jacob, président du groupe
UMP à l’Assemblée, l’évoque le 13 février :
« Ce n’est pas l’image de la France, l’image de la
France rurale, l’image de la France des terroirs
et des territoires, celle qu’on aime bien, celle à
laquelle je suis attaché. » Que cette déclaration
« rappelle fâcheusement celle de Xavier Vallat
sur Léon Blum », selon Serge Klarsfeld, n’a pas
empêché Laurent Wauquiez d’enfoncer le clou :
le 3 mars, lors de la visite du Président venu
célébrer les racines chrétiennes de la France
dans son fief du Puy-en-Velay, le ministre, agrégé
d’histoire, déclare que Dominique Strauss-
Kahn, « ce n’est pas la Haute-Loire, ce n’est pas
ces racines-là ».
A défaut d’égalité des droits avec les homosexuels,
sur le modèle néerlandais, Nicolas
Sarkozy prétendait jusqu’à présent fonder
démocratiquement l’identité nationale en récusant
l’héritage antisémite des populismes des
années 1930, pour mieux afficher une modernité
féministe. Aujourd’hui que, sur les deux fronts,
pour la majorité présidentielle, « ça commence
à bien faire », la démocratie sarkozyenne serait-elle
devenue comme le couteau de Lichtenberg
– soit un couteau sans lame auquel ne manquerait
que le manche ?