Accueil > N° 4 - novembre 2010 | Par Michel Husson | 8 novembre 2010

Et la croissance ? Bordel !

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Grow, dammit, grow ! » titrait récemment The Economist (1). Tout le dossier est une réflexion sur les meilleurs moyens de relancer la croissance. Plusieurs études récentes montrent en effet que les coupes budgétaires brident la croissance et que la « rilance » (rigueur + relance) de Christine Lagarde est un fantasme. Cette critique « keynésienne » est l’axe du Manifeste d’économistes atterrés , qui ont parfaitement raison de l’être. Leurs propositions, qui consistent notamment à encadrer le fonctionnement de la finance et à trouver d’autres financements pour les déficits, sont légitimes et rationnelles. Cela dit, le fait de souligner le biais récessionniste des politiques menées est une chose. Franchir le pas qui consisterait à faire du retour à la croissance la solution à tous nos maux en est une autre.

Il ne suffit pas de sauter sur sa chaise comme un cabri en disant « croissance ! croissance ! croissance ! » pour que celle-ci soit au rendez-vous. Dans une note récente, l’économiste Patrick Artus avoue qu’on ne sait pas comment s’y prendre : on n’a «  que des idées très incertaines des facteurs explicatifs les plus importants de la faible croissance des entreprises des pays du Sud de la zone euro : les règles du marché du travail, la fiscalité, l’éducation ne semblent pas jouer de rôle  ».

La croissance a en grande partie quitté les pays avancés pour devenir l’apanage du reste du monde et notamment des pays émergents. Sur les dix années précédant la crise, le PIB a progressé de 2,6 % dans les pays avancés, soit moitié moins que dans le reste du monde où la croissance moyenne a été de 5 % par an. Et pour 2011, le FMI prévoit une croissance de 2,2 % dans les pays avancés, et de 6,4 % pour le reste du monde.

Admettons qu’on arrive à obtenir un supplément de croissance. Mais s’il est capté par une fraction réduite de la population, cela ne change rien pour l’immense majorité. A ceci près, qu’on peut espérer des créations d’emplois. Même en admettant qu’elles soient pérennes (ce qui n’est pas vérifié à moyen terme en France), on est dans un monde « à la Malthus » où le destin des salariés dépend de la consommation des riches. Mieux vaudrait réduire le temps de travail et répartir autrement le revenu que trimer plus pour une croissance captée par une minorité.

De même qu’on tombe si l’on s’arrête de pédaler, le capitalisme entre en crise quand il cesse de faire de la croissance. L’idée d’un état stationnaire du capitalisme est par conséquent un oxymore. C’est pourtant la référence de critiques de la croissance comme Herman Daly, ou plus récemment Tim Jackson qui écrit dans son rapport (par ailleurs passionnant) : «  La rentabilité : au sens traditionnel du terme : sera réduite. Cela pose problème dans une économie fondée sur la croissance, mais n’aurait aucune importance dans une économie de prospérité . » Mais c’est absurde : le capitalisme ne peut fonctionner ainsi, et remettre en cause la croissance tout en voulant conserver le capitalisme n’a pas de sens. La critique de la croissance sera anticapitaliste ou ne sera pas.

Et c’est pourquoi aussi ce système est fondamentalement incapable de traiter la question climatique. Comment imaginer par exemple un capitalisme qui freinerait sa rotation, et donc sa rentabilité, en fabriquant des produits conçus pour durer ? Comment ne pas constater que l’écotaxe s’est effacée devant la prime à la casse ? Tous calculs faits, il ne semble pas possible d’atteindre les objectifs de réduction d’émissions sans bloquer ou réduire significativement la croissance.

Plutôt que de s’enfermer dans le paradigme keynésien, en cherchant les moyens de relancer la croissance pour créer des emplois, il faut remettre les choses à l’endroit. Autrement dit, partir des besoins sociaux démocratiquement définis et réfléchir à leur satisfaction optimale. La première étape est la remise en cause de la répartition des revenus actuelle, qui fait dépendre le bienêtre de la majorité : et notamment l’emploi : du rendement des actions. Et la suivante est la remise en cause de la propriété privée qui revient à déposséder la société du choix de ses priorités.

Michel Husson

 [1]

Notes

[1(1) « Croissez, bon sang, croissez ! » The Economist , du samedi 9 octobre. www.economist.com - Voir aussi hussonet.free.fr/bordel.pdf

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