Accueil > N°11 - Juin 2011 | Chronique par Michel Husson | 9 juin 2011

Sortir de l’euro ?

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La sortie de l’euro est évoquée par certains courants
de gauche comme un moyen de rompre avec l’Europe
néolibérale et de dégager ainsi des marges
de manoeuvre pour une autre politique
. Cette position
est défendue notamment par Costas Lapavitsas
pour la Grèce et Jacques Sapir pour la France [1]. Le débat
doit ici éviter deux procès symétriques : celui qui consiste à dire
que ce projet nourrit le programme du Front national et, en sens
inverse, celui qui taxe d’« européisme » ou de « libre échangisme »
les critiques qui lui sont adressées.

L’argument principal en faveur de la sortie de l’euro est que la monnaie
nationale rétablie pourra être dévaluée, de manière à restaurer
la compétitivité du pays. Il renvoie au caractère délibérément
tronqué de la construction européenne : en rendant impossible
toute dévaluation, l’euro a été conçu comme un instrument de discipline
salariale, le salaire devenant la seule variable d’ajustement.
Mais cette discipline a été en partie contournée, notamment en
Espagne, grâce à la possibilité offerte par l’euro d’avoir un déficit
extérieur croissant, ainsi que par une logique de bulle et de
surendettement. La solution cohérente aurait été, et est toujours,
la mise en place de fonds de transfert et d’harmonisation, donc
d’un budget européen élargi, solution qui a toujours été refusée en
pratique. Tous les efforts des dirigeants européens sont allés au
contraire dans le sens d’une réduction de ce budget.

Une dévaluation compétitive ne peut de toute manière réussir
que si les pays voisins ne font pas tous la même chose. D’où,
d’ailleurs, des propositions plus ou moins réalistes de double
euro ou de monnaie commune (un euro vis-à-vis de l’extérieur,
des monnaies nationales à l’intérieur). Mais le projet de sortie
de l’euro repose sur une illusion et un oubli. L’illusion est que
la dévaluation permettrait à un pays de doper sa croissance.
Jacques Sapir parle de «  retrouver rapidement un sentier de forte
croissance, par une amélioration instantanée de notre compétitivité-
prix grâce à une dévaluation d’environ 25 %
 ». Le projet de
fonder une forte croissance sur l’essor des exportations, et donc
sur le dos des « concurrents », repose sur l’idée fausse que les
pertes de marché de la France s’expliquent principalement par un manque de compétitivité-prix. Ce n’est pas le cas à l’intérieur de
l’Europe et, vis-à-vis du reste du monde, c’est le taux de change
de l’euro qui pèse et qu’il faut donc gérer à ce niveau.

Politiquement, cette voie débouche sur une guerre commerciale
ouverte en Europe et ne définit donc pas un projet coopératif.
Mais l’oubli majeur porte sur la dette publique. Elle est libellée
en euros ou en dollars, et serait gonflée à proportion de la dévaluation,
qui aurait également pour effet de rendre les importations
plus chères. D’un point de vue stratégique, il s’agit là d’une
erreur majeure, qui consiste à mettre la charrue avant les boeufs,
en alourdissant la dette publique et en exposant la nouvelle monnaie
aux assauts spéculatifs.

L’alternative à la sortie de l’euro n’est pas fondée sur une
confiance naïve dans les vertus du libre échange et ne suppose
pas l’attente angélique d’une « bonne » Europe. Elle consiste à
remettre les choses à l’endroit, autrement dit à commencer par
prendre les mesures allant dans le sens de la transformation
sociale. Par exemple des emplois stables, des salaires décents,
l’extension de la protection sociale et des services publics plutôt
que les ponctions financières, les inégalités et la régression
sociale. Cela implique un bras de fer avec les institutions européennes
s’appuyant sur la légitimité de l’extension possible à
plusieurs pays de cette orientation [2]. Une telle expérience devrait être protégée notamment par un contrôle des capitaux. Il s’agit donc de mesures protectionnistes, mais on sait alors ce qu’on protège. Quant à la sortie de l’euro, elle n’est pas à exclure,
mais il serait absurde de l’annoncer à l’avance et de brûler
d’emblée cette cartouche. Si on prend soin de distinguer les fins
et les moyens, le fond de la question porte en réalité sur la nature
du projet de société : plus de croissance grâce à la dévaluation,
ou bien un développement fondé sur une autre répartition des
revenus ?

Notes

[1Voir le débat entre Jacques Sapir et Jean-Marie Harribey et celui entre Costas Lapavitsas et Ozlem Onaran, hussonet.free.fr/autreuro.htm

[2Lire « Euro-stratégie : une esquisse », Regards, décembre 2010, disponible sur www.regards.fr/nos-regards/michel-husson

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