Accueil > N° 6 - janvier 2011 | Par Michel Husson | 3 janvier 2011

Un passif de trente ans

Un économiste parfois mieux inspiré écrivait en août 2008 que «  l’affaire des subprimes est maintenant bel et bien dans le rétroviseur  »

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(1). Jeter un coup d’oeil dans le rétroviseur est cependant une bonne idée car on ne comprendrait rien des ressorts de la crise actuelle sans la mettre en perspective. Le point de départ, c’est une autre crise : celle du milieu des années 1970 : qui marque la fin des « Trente glorieuses ». Les politiques habituelles ne réussissant plus à relancer la machine, c’est le grand tournant libéral du début des années 1980, nous vivons donc depuis trente ans (les « Trente piteuses ») sous un régime de capitalisme néolibéral.

La crise d’aujourd’hui doit être comprise comme la crise des solutions apportées à la précédente. Elles reposaient, pour simplifier, sur deux éléments : la compression salariale et la financiarisation. La croissance : et surtout le profit : ont pu reprendre dans un environnement de régression sociale rampante. Le moteur de la croissance n’était plus la demande salariale mais la consommation des riches et le crédit. Ce dernier permettait aux pauvres de consommer au-delà de leurs revenus, et aux pays : en premier lieu les Etats-Unis : de financer leur déficit.

La croissance, d’ailleurs inférieure à celle de la période précédente, était inégalitaire, fragile, déséquilibrée et en partie fictive. Mais elle avait, aux yeux des dominants, l’avantage de leur permettre de capter une part croissante des richesses produites. S’il n’y avait pas eu de croissance aux Etats-Unis, la situation de 90 % de la population aurait été à peu près inchangée. Tout cela s’est construit sur une montagne de dettes qui s’est écroulée et les produits financiers sophistiqués ont permis qu’une crise a priori limitée se répande à l’ensemble du système bancaire.

On l’a sauvé. Et chacun de saluer la sagesse des gouvernements qui n’ont pas reproduit les mêmes erreurs qu’en 1929, quand son ministre des Finances, Andrew Mellon, recommandait au président Hoover de « liquider le travail, liquider les actions, liquider les fermiers, liquider l’immobilier » afin d’éliminer « la pourriture du système ». Des sommes considérables ont été injectées pour sauver les banques. Mais, à de rares exceptions près, sans y mettre quelque condition que ce soit. L’occasion était pourtant belle de le faire à chaud et les jérémiades ultérieures sur la nécessité de mieux réguler les banques ne sont donc que de la poudre aux yeux.

Toujours pour simplifier, la « patate chaude » que représentait cet amoncellement de créances et de titres tous aussi pourris les uns que les autres est passé des banques privées aux finances publiques. La question se posait alors de choisir le bon timing pour résorber cette dette. Il y avait un relatif accord pour dire qu’il fallait attendre que la « reprise » soit suffisamment installée pour basculer vers la rigueur budgétaire. Mais la prétendue sagesse des gouvernements a été rapidement oubliée et tous, en Europe du moins, ont effectué un brusque tournant vers des plans d’austérité proprement démentiels, semblables à ceux de Brüning en Allemagne en 1931 ou de Laval en France en 1935.

Cela revient à repasser la patate chaude à la majorité de la population, qui n’est évidemment pas responsable de la crise, et sur le dos de laquelle s’était construite depuis trente ans la prospérité des riches qu’il s’agit aujourd’hui de préserver. Que le socialiste Zapatero soit capable de supprimer l’allocation pour les chômeurs en fin de droits montre à quel point les gouvernements, qu’ils soient de gauche ou de droite, se soumettent aux exigences des « marchés ». Or, «  ces marchés qui déstabilisent l’Irlande, le Portugal ou la Grèce sont, la plupart du temps, des établissements financiers installés dans des Etats membres de l’union monétaire  » (2). C’est donc une grande alliance (éventuellement conflictuelle) entre la finance et le patronat qui dicte à des gouvernements consentants ces politiques d’une violence socialement ciblée auxquelles sont soumis les peuples européens. Il s’agit ni plus ni moins d’un règlement de comptes qui porte sur un passif de trente ans et qui nécessite une riposte sociale proportionnée.

Michel Husson

 [1](2) « Dettes : la zone euro rongée de l’intérieur », de Jean Quatremer, Libération, 27 novembre 2010, liberation.fr

Notes

[1(1) Patrick Artus, cité dans « Mais oui, la crise est finie ! », Challenges n° 28, cf. les archives d’août 2008 sur bourse.blogs.challenges.fr

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