Parution d’un nouveau livre aux éditions Dingdingdong : Anouck - Portrait dingdingdong n°1, par l’artiste peintre Alexandra Compain-Tissier et par le personnage-écrivain Alice Rivières.
Dans ce livre, deux artistes fabriquent côte à côte un portrait d’Anouck, dont elles sont très proches, Alice parce que c’est sa mère, Alexandra, amie intime d’Alice, parce qu’elle partage leur vie de famille depuis plus de 20 ans. Anouck est une femme d’une soixantaine d’année touchée par la maladie de Huntington, une maladie rare, génétique, héréditaire, qui se traduit par une dégénérescence neurologique provoquant d’importants troubles moteurs, cognitifs et psychiatriques, et, dans les formes les plus avancées, la perte de l’autonomie et la mort.
La maladie de Huntington fait partie de ces maladies que l’on stigmatise, dont on a peur, car elle effraye par ses manifestations physiques et psychiques étranges. Mais cette peur n’est-elle pas en réalité une peur par anticipation, qui ne repose pas sur l’expérience, au sens de « faire l’épreuve de », mais sur une représentation que l’on se fait à priori de la maladie ? Car de quoi avons-nous réellement peur ? Les représentations se fabriquent souvent de manière très complexe, au cours d’une histoire longue, pour des bonnes et des moins bonnes raisons, et qui parfois s’ancrent de manière trop durable alors qu’elles devraient être sans cesse renouvelées au gré des nouvelles expériences qui apparaissent. Ainsi la maladie de Huntington ne cesse d’hériter d’une série de représentations extrêmement négatives, qui vont de la démence (dont la pertinence vis à vis de cette maladie commence à peine à être discutée) et de la perte de toutes ses capacités, jusqu’à l’inconscience de ses propres troubles. Ce fardeau de représentations, également tributaire de l’idée plus générale que nous nous faisons du handicap et des maladies mentales, peut diminuer à mesure qu’émergera une connaissance de plus en plus fine sur cette maladie. C’est en tous cas l’objectif du collectif Dingdingdong*, lequel vise à co-produire du savoir avec ces malades qui sont les premiers guides, les premiers experts de ce qui leur arrive. L’expérience que nous faisons de la maladie, si nous refusons que la peur s’interpose à tout moment tel un filtre simplificateur, décolle alors puissamment de la représentation que nous en avions, ne serait-ce que parce qu’elle implique, autour de la personne touchée, toutes les personnes concernées qui interagissent et co-fabriquent ensemble cette expérience unique et toujours mouvante.
C’est pourquoi nous avons pourtant particulièrement besoin de partager ces expériences, et de trouver des modes d’expression pour celles-ci. C’est le pari fait par les deux auteures de Anouck : comment partager l’expérience, toujours en mouvement, qu’elles font de la maladie grâce à Anouck depuis des années, sans en produire une représentation fermée ? On aurait pu s’attendre à un portrait d’une personne malade dans le plus pur style du portrait en art, mais par ses aquarelles, Alexandra Compain-Tissier installe au contraire un portrait en ellipse. On ne voit jamais vraiment Anouck, on aperçoit seulement de temps à autre une main, un bras, des cheveux ou un foulard mais ce qui importe c’est ce que Anouck permet à Alexandra de voir et ce qu’Alexandra se met alors à découvrir. Anouck ne se cache pas, mais elle guide Alexandra dans son expérience de la maladie, et Alexandra, en la suivant fait apparaître à son tour bien des jolies choses au gré de ses vingt-deux peintures. À nous de tisser notre récit avec elles. À son tour, Alice Rivières, à travers ses petites poésies, ne décrit pas qui est sa mère, ni ce qu’elle fait, ni comment elle vit la maladie, mais s’attache à relever des petits détails subtils de la vie quotidienne qui l’émeuvent, qui la surprennent et qui aussi parfois manquent de lui faire peur. Mais Anouck n’a pas peur, elle. Elle apprend à ses bien aimés à pénétrer son expérience – initiant alors chacun à l’art rusé de la bienveillance. À la fin de sa lecture, on revient irrésistiblement aux dessins, avant de repartir aux textes, puis encore aux dessins, découvrant dans tous ces va et vient l’infinité des nuances que ces récits font scintiller ensemble.
Anouck, Alexandra et Alice arrivent à nous embarquer dans l’expérience intime qu’elles font d’une maladie et en même temps, au-delà, à nous ouvrir aux possibles partages du sensible pour des personnes en grande souffrance de représentation.